Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 19 octobre, 2006

L’empoisonneuse

Posté : 19 octobre, 2006 @ 2:31 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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La Voisin, estampe du XVIIème siècle

Et c’était son visage que Paul regardait maintenant sur la photographie en noir et blanc reproduite dans un livre sur les criminelles célèbres, et qui avait comme légende : Marie Auteuil, guillotinée en 1861. Le visage bien dessiné, les yeux immenses et écartés, le petit signe de naissance sous l’œil gauche, la bouche un peu trop grande. Les cheveux étaient tirés sur la nuque et tombaient en boucles douces, ils étaient bruns et épais, la robe semblait être en velours et un décolleté profond laissait deviner la racine des seins.
Mais, sans qu’il sût pourquoi, ce qui le troublait le plus était le collier travaillé, les longues boucles d’oreilles, qu’il reconnaissait parfaitement. Il les avait examinées avec admiration, le métal sombre, l’argent, or blanc ou peut-être platine, les petites pierres très vertes qu’elle lui avait dit être des émeraudes. Malgré l’absence de couleurs, il n’y avait pas de doute, les bijoux étaient identiques, le vieux collier que Marisa portait toujours, même pour dormir, comme s’il faisait partie de son corps, les boucles qu’elle mettait quelquefois, quand elle tirait ses cheveux en arrière et les attachait avec une barrette.

Avec une sensation de cauchemar, il lut les deux pages qui avaient trait à Marie Auteuil. Elle avait été jugée pour l’assassinat, à l’arsenic, de deux de ses amants, mais on suspectait qu’elle en avait empoisonné au moins quatre autres.

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Rapport

Posté : 19 octobre, 2006 @ 1:06 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Il a été facile de voir que nous allions arriver à la ville. Très facile en vérité, puisque à mesure que nous entrions dans les terres à travers lesquelles cette secte hérétique damnée a pu répandre son ivraie et que nous approchions de cette ville où nous sommes arrivés hier, se faisaient de plus en plus visibles les signes de l’Antéchrist, et de moins en moins la face du Seigneur paraissait régner sur la région, comme si une véritable malédiction enveloppait tout d’un voile épais. Et les visages des gens qui nous regardaient avec méfiance nous blessaient plus que la rudesse des chemins ou l’inconfort de nos montures, car de ces derniers nous nous accommodions par amour du Christ ; mais contre le regard insane des gens, que pouvions-nous sinon prier à chaque halte que la lumière les éclaire et les remette dans le droit chemin ?
Chaque fois que nous demandions à un paysan le chemin de cette ville de N., ne nous répondait qu’un visage détourné, un visage détourné vers le sud, nous indiquant ainsi ledit chemin, un visage détourné sans paroles ni salut ni conseils ; il était clair que si cela n’avait pas été pour l’escorte que vous m’avez donnée j’aurais craint pour ma vie, car je voyais bien les mains de ces paysans se serrer sur le bois des piques ou des fourches en me regardant et en voyant mon habit. Que le Seigneur leur pardonne leur démence, car je leur ai aussitôt pardonné une telle déraison.
Ainsi avons-nous fait le voyage qui a duré près d’un mois ; il me fallait, de temps à autre, réfréner les cavaliers de cette mienne escorte qui, agacés par le mépris en lequel les tenaient les simples et les paysans que nous croisions, ont si souvent dégainé leur dague, possédés par la colère qu’il me coûtait à moi de contenir. Et c’était merveille de voir comment le péché se propage si rapidement, car de calmes soldats d’ordinaire maîtres d’eux-mêmes en rien de temps se changeaient en bêtes féroces, par la cause de ce voile épais de perdition qui domine nettement ces terres.

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