Rapport
Il a été facile de voir que nous allions arriver à la ville. Très facile en vérité, puisque à mesure que nous entrions dans les terres à travers lesquelles cette secte hérétique damnée a pu répandre son ivraie et que nous approchions de cette ville où nous sommes arrivés hier, se faisaient de plus en plus visibles les signes de l’Antéchrist, et de moins en moins la face du Seigneur paraissait régner sur la région, comme si une véritable malédiction enveloppait tout d’un voile épais. Et les visages des gens qui nous regardaient avec méfiance nous blessaient plus que la rudesse des chemins ou l’inconfort de nos montures, car de ces derniers nous nous accommodions par amour du Christ ; mais contre le regard insane des gens, que pouvions-nous sinon prier à chaque halte que la lumière les éclaire et les remette dans le droit chemin ?
Chaque fois que nous demandions à un paysan le chemin de cette ville de N., ne nous répondait qu’un visage détourné, un visage détourné vers le sud, nous indiquant ainsi ledit chemin, un visage détourné sans paroles ni salut ni conseils ; il était clair que si cela n’avait pas été pour l’escorte que vous m’avez donnée j’aurais craint pour ma vie, car je voyais bien les mains de ces paysans se serrer sur le bois des piques ou des fourches en me regardant et en voyant mon habit. Que le Seigneur leur pardonne leur démence, car je leur ai aussitôt pardonné une telle déraison.
Ainsi avons-nous fait le voyage qui a duré près d’un mois ; il me fallait, de temps à autre, réfréner les cavaliers de cette mienne escorte qui, agacés par le mépris en lequel les tenaient les simples et les paysans que nous croisions, ont si souvent dégainé leur dague, possédés par la colère qu’il me coûtait à moi de contenir. Et c’était merveille de voir comment le péché se propage si rapidement, car de calmes soldats d’ordinaire maîtres d’eux-mêmes en rien de temps se changeaient en bêtes féroces, par la cause de ce voile épais de perdition qui domine nettement ces terres.
Et lorsque, à la fin de ce mois de février dans lequel nous sommes à présent, nous avons aperçu du sommet d’une colline la ville de N. – centre de cette secte damnée, ou de ce qu’il en reste à présent – plus noirs que le charbon nous ont paru ses murs, plus âcre que le souffre son air, plus tristes que la douleur ses chemins, ses environs et ses jardins.
[...]
Lorsque nous sommes entrés enfin dans la ville de N., je vous le jure, notre entrée a davantage ressemblé au passage dans l’Hadès qu’à une entrée dans une ville de chrétiens ou même en simple terre de gentils jusqu’où la bonne nouvelle ne serait jamais parvenue. Car je suis certain que, même en terre de gentils, nous n’aurions pas vu sur les visages du peu de gens que nous avons croisés tant d’inimitié et de malveillance que nous en pouvons témoigner avoir vues à notre entrée. Les gens, en me voyant, et en voyant avec moi l’escorte que vous avez avec raison insisté pour que j’amène – j’en ai été affligé, bien que j’en reconnaisse déjà l’utilité et que je loue à présent votre prudence et votre sagesse d’avoir insisté auprès de moi pour qu’elle m’accompagne – les gens, en nous voyant, disais-je, détournaient la tête sans autre salutation qu’un grincement de dents malsonnant ou un juron à peine dissimulé, s’éloignant ensuite rapidement sans plus de façons. Et si une fenêtre était ouverte, il était sûr qu’on la fermait immédiatement sans même dissimuler le claquement du bois, claire mention que nous étions ici aussi bienvenus que le loup féroce en une bergerie de moutons gras. Parfois, les mères sortaient dans la rue, et, là-même, sous nos yeux, attrapaient les petits enfants et les traînaient jusqu’aux maisons où elles s’enfermaient, les empêchant ainsi de continuer à jouer dans la rue comme ils le faisaient auparavant ; et elles faisaient cela si prestement que nous n’aurions pas eu de mal à sentir sur nous les marques de la peste, si par ailleurs nous n’avions pas été avisés que la cause de cette mise à l’écart était due à d’autres faits qu’à notre maladie.
Sérgio Luís de Carvalho, El-Rei Pastor, Campo das letras, 2000.
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