Commérages
- Maman ! cria Inês, entrant dans la cuisine en courant. Tu as dit à Laurinda que le chat avait vomi sous le placard ?
- Ah, c’est vrai, Laurinda. Merci, Inês, de me l’avoir rappelé. Tu es un amour.
Contrariée, Laurinda écarta péniblement le placard du mur, prit la serpillière et se baissa.
- Que ce chat aille au diable, jura-t-elle. Pardonnez-moi, mais vous ne devriez pas avoir de chats ici. Les chats sont du côté du Mal, comme je vous l’ai déjà dit.
Vanda leva les yeux au ciel et sourit. – André et moi, nous pensons que les enfants doivent grandir avec des animaux à la maison. Normalement il est très propre, vous le savez. Il a dû manger quelque chose qui lui a fait mal, un rat qu’il attrapé dehors, peut-être.
Damné animal, pensa Laurinda en se mettant à genoux. Et ils ont laissé sécher cette cochonnerie, ça va être facile à nettoyer.
- Madame Piedade a dit, commença-t-elle, légèrement haletante, après s’être relevée, que les chats étaient du côté du Mal. Moi, je ne risque pas même de les toucher ! Une fois, je crois que je vous l’ai déjà raconté, j’avais…
- Oui, oui, vous me l’avez raconté, Laurinda. Attendez, je vais vous aider. Vous ne pouvez pas pousser le placard toute seule.
- C’est bien moi qui l’ai tiré, non ? Il n’y a pas de raison qu’il soit devenu plus lourd entre-temps, grommela Laurinda, repoussant le placard contre le mur.
- Racontez-moi la suite de l’histoire, demanda Vanda, en regardant la pendule.
Les enfants vont protester parce que j’ai encore fait du poisson. Mais maintenant j’ai tellement peur d’acheter de la viande… Et quand je suis allée au supermarché il ne restait presque plus rien.
- Evidemment, fit Laurinda. Il suffisait d’y aller plus tôt. Il y a encore quelque chose à faire ou c’est tout pour aujourd’hui ? demanda-t-elle en s’essuyant les mains à sa blouse tout en regardant à la ronde.
- C’est tout, je pense. Mais racontez-moi la suite de l’histoire avant de partir, pria de nouveau Vanda, en baissant le feu sous les oignons qu’elle faisait revenir.
- Avec votre permission, il faut que je m’assoie un peu. J’ai une douleur dans le dos, qui commence là-derrière et remonte la colonne…
- Vous avez dû faire un faux mouvement. Vous passez votre vie à soulever des poids.
- Et alors, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Il faut bien que le travail soit fait. Mais ce n’est pas que ça, je sais que ce n’est pas que le travail. C’est aussi ces maudits autour de moi, qui essaient d’attirer mon attention. Madame Piedade a dit…
- Terminez donc l’histoire de l’homme nu, insista Vanda, en ajoutant les tomates pelées aux oignons. Mince ! Je me suis toute tachée ! Avec de la tomate et de l’huile d’olive, par-dessus le marché! Excusez-moi, Laurinda, vous pouvez me passer le torchon, s’il vous plaît ?
- Les gens disent qu’à chaque tache de graisse une âme tombe en Enfer, dit Laurinda. Comme si ça se pouvait ! Vous avez déjà vu la quantité d’âmes qui seraient en Enfer, si c’était vrai ? De la façon dont nous nous tachons tous pour un oui pour un non ? Oui, il y a quand même des choses que les gens disent qui sont vraies, d’accord. Et beaucoup, même… Alors, je suis entrée dans la cuisine, comme je vous l’ai dit, et l’homme, ou plutôt le gamin, parce que c’était un gamin, était là tout nu devant moi…
- Ça je le sais, s’impatienta Vanda, qui frottait les éclaboussures de tomate sur son chemisier. Finalement, qui c’est ?
Ana Nobre de Gusmão, Aves do Paraíso, Asa, 1997
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