Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 8 novembre, 2006

Vengeance et hommage

Posté : 8 novembre, 2006 @ 6:31 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

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(1320-1367)

 

Lorsque le roi de Castille apprit que Diego Lopes n’avait pas été pris, il fut très en colère, mais il ne put rien faire de plus ; alors, il envoya Alvoro Gonçalvez et Pero Coelho, bien gardés et enchaînés, au Roi du Portugal son oncle, ainsi qu’ils l’avaient décidé. Et lorsqu’ils arrivèrent à la frontière, ils y trouvèrent Mem Rodriguez Tenoiro, et les autres Castillans, que le Roi Dom Pedro envoyait ; et Diego Lopes disait plus tard en parlant de cette histoire qu’on avait échangé là des ânes contre des ânes. Et ils furent emmenés à Séville, où était alors le Roi, et là le Roi les fit tous tuer. On emmena au Portugal Alvoro Gonçalvez et Pero Coelho et ils arrivèrent à Santarém où était le Roi Dom Pedro ; et le Roi, satisfait de leur arrivée bien que contrarié parce que Diego Lopez s’était enfui, sortit pour les accueillir, et en proie à une rage cruelle, sans pitié, il les mit au tourment de sa main, voulant qu’ils lui avouent qui était coupable de la mort de Dona Inès.
[...]
Et aucun d’eux ne répondit à ces questions quoi que ce fût qui agréât au Roi ; et on dit que le Roi, très en colère, frappa Pero Coelho au visage, et que celui-ci lui cria des paroles laides et malhonnêtes, l’appelant traître, parjure, bourreau et meurtrier ; et le Roi ordonna qu’on lui apportât de l’oignon et du vinaigre pour le lapin [
coelho signifie lapin], se lassa d’eux et les fit mettre à mort. La façon dont on les tua, dite par le menu, serait très étrange et cruelle à raconter, car il fit arracher le cœur de Pero Coelho par la poitrine et celui de Alvoro Gonçalvez par les omoplates ; et les paroles qui furent dites, car celui qui leur arrachait le cœur était peu habitué à cette sorte d’office, seraient bien douloureuses à entendre ; enfin il ordonna de les brûler ; et tout ceci fut fait devant le palais où il séjournait, de sorte qu’il pût, tout en mangeant, regarder et donner ses ordres.
Le Roi perdit beaucoup de sa bonne réputation à cause de cet échange, qui fut tenu au Portugal comme en Castille pour un très grand mal, et tous les hommes de bien qui entendaient cela disaient que les rois se trompaient fort en agissant contre leurs serments, puisque ces chevaliers avaient reçu le droit d’asile en leurs royaumes.
[...]
Et ayant eu l’idée d’honorer sa dépouille [d'Inès], puisqu’il ne pouvait plus rien faire d’autre, il fit construire un monument de pierre blanche, très subtilement travaillé, faisant élever sur le dessus du tombeau son image avec une couronne sur la tête, comme si elle avait été Reine ; et il fit déposer ce monument dans le monastère d’Alcobaça, non à l’entrée où reposent les rois, mais dans l’église à droite, près de la grande nef. Et il fit amener son corps du monastère de Santa Clara de Coimbra, où il reposait, le plus honorablement qu’on pût faire, car elle était portée dans une litière, très bien faite pour ce temps-là, que portaient de grands chevaliers, accompagnés d’hommes très nobles, et de maints autres gens, et de dames, et de demoiselles, et de maints serviteurs. Sur le chemin se trouvaient maints hommes tenant des cierges à la main, disposés de telle manière que son corps fit tout le chemin entre les cierges allumés ; et ainsi ils arrivèrent audit monastère, qui était éloigné de dix-sept lieues, où avec maintes messes et une grande solennité elle fut déposée dans ce monument : et ce fut le plus honorable transfert qu’on eût jamais vu au Portugal.
Pareillement le Roi fit faire un autre monument aussi bien travaillé pour lui, et le fit déposer à côté du sien, afin que lorsqu’il mourrait on le déposât dedans.

Fernão Lopes (1380?– 1460?) Crónica de D. Pedro I

 

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Pour Inès, encore

Posté : 8 novembre, 2006 @ 3:54 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

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Que l’air se brouille,
Et fanent les fleurs ;
Mourez, Amours,
Inès est morte.

Pauvre époux,
Lamente-toi,
Ton enchantement
N’est déjà plus tien.

La lame en secret,
A gâché son sein,
Injure barbare,
Qu’on lui a faite.

De douleur, d’effroi
Dans son char doré
Le bel astre blond
A défailli.

[...]

Des oiseaux sinistres
Ont piaillé ici,
Des loups ont hurlé,
Le sol a tremblé.

Que l’air se brouille,
Et fanent les fleurs;
Mourez, Amours,
Inès est morte.

Manuel Maria Barbosa de Bocage, A morte de Inês de Castro (1765-1805)

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