Destins
Crédit Michel Pierssens (www.maldoror.org)
Ce qui est intriguant, pourtant, c’est que nous ne savons rien de cette fiancée de quinze ans ; sur les photographies de famille, son visage n’apparaît pas non plus, vieilli, dans ces groupes qui se faisaient immortaliser lors de réunions rassemblant plusieurs générations, et dans lesquelles, habituellement, parmi les enfants et les couples jeunes ou vieux, apparaissent toujours deux ou trois femmes seules assimilées à des tantes ou des cousines ; on lit sur leur visage l’angoisse d’une solitude irrémédiable, qu’elles cherchent à compenser en se rendant aux thés auxquels elles ne sont pas invitées, s’obstinant à parler du passé où ont été enterrés leurs rêves. La fiancée aurait pu être l’une d’elles, condamnée à vivre avec le poids de cette malédiction du promis qui avait disparu, mais qui pourrait à chaque instant réapparaître nanti d’une immense fortune provenant de l’exploitation des propriétés que son talent colonisateur avait défrichées ; et il ferait don à la jeune fille, devenue femme, moins de la virilité qu’il possédait encore lorsqu’il était parti que de cet avantage économique qu’elle pourrait garder en héritage, de même qu’un enfant qu’il pourrait encore lui faire, lors d’un répit entre la fatigue de l’âge et une maladie tropicale quelconque, sans oublier les excès commis avec les Africaines ou les Indiennes que la légende promet à ces exilés.
Nuno Júdice, L’Ange de la tempête, La Différence, 2006
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