Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Le prix juste

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 16 novembre, 2006 @ 0:29

(Le voyageur a demandé « le prix juste » pour venir en aide au roi)

exu2.jpg

Exu

La foi humaine est toujours plus grande que l’homme lui-même : le voyageur fut introduit dans les appartements royaux. Et trois jours seulement s’écoulèrent. Le peuple était massé sur la place du marché quand les épouses sortirent en courant du palais pour annoncer que le roi était déjà rétabli.
Les festivités furent programmées pour la foire suivante, mais des manifestations de joie la devancèrent. Oió se changeait en ce qu’elle avait été. Il ne fut pas jusqu’à une pluie bienfaitrice qui ne vint raviver les couleurs de la savane desséchée.
A la date fixée, le roi réapparut, entouré de pompe et d’acclamation. Il se dirigea vers le trône au centre du marché et éleva la voix :
- Qu’il vienne devant moi le voyageur à la capuche rouge et noire!
Celui-ci s’approcha et le roi dit :
- La gratitude de Oió est sans mesure. Que le voyageur me dise son prix.
- Je veux le prix juste.
- Le roi t’accorde cent pièces d’ivoire.
- C’est peu; et cela ne tient pas dans ma musette.
- Aux cent pièces d’ivoire, j’ajoute trente sabres de fer.
- C’est peu; et cela ne tient pas dans ma musette.
- Aux cent pièces d’ivoire, aux trente sabres de fer, j’ajoute dix mesures de perles de verre.
- C’est peu; et cela ne tient pas dans ma musette.
- Aux cent pièces d’ivoire, aux trente sabres de fer, aux dix mesures de perles de verre, j’ajoute cinquante esclaves.
- C’est peu, et cela ne tient pas dans ma musette.

Le roi était stupéfié :
- Il n’y a donc pas de limite à l’avidité de ce voyageur ?
- J’ai marché des lieues et des lieues et quand je suis arrivé dans ce pays, j’ai vu un roi mourant, un royaume en ruine, un peuple malheureux. J’ai soigné le roi, j’ai relevé le royaume, j’ai sauvé le peuple. Je veux le prix juste.
Et pour nombreuses que furent les offres du roi, la réponse était toujours la même. Désespéré, il se leva de son trône et avec un geste solennel, fit une ultime proposition :
- Hé bien soit ! Reste avec mon royaume tout entier !
Ce à quoi le voyageur répondit :
- C’est peu; et cela ne tient pas dans ma musette.
Il y eut un bref silence et le voyageur reprit :
- Il ne peut vivre celui qui doit la vie. Je veux la tête du roi.
Personne n’en crut ses oreilles. Le roi s’effondra sur son trône, atterré: – comment celui qui m’a soigné peut-il vouloir ma mort? C’est absurde, c’est lâche, c’est infâme, c’est ignoble !
- Non (dit le voyageur); c’est le prix.
Et Oió ne résista pas, comme elle ne résisterait pas un peu plus tard à l’assaut noupé. Car elle comprit qu’en pareille circonstance, toute clémence aurait été une injustice; que le bien idéal était une contradiction logique.
Et le voyageur s’avança vers le roi, lui coupa la tête, la mit dans sa musette et, avant de disparaître à un tournant de la route, éclata de rire une dernière fois :
-
Ko si óba… kan ofi Ólórun.
Et il avait raison : il n’y a pas de roi sinon dieu.
Tel est Èlègbara.

Alberto Mussa, Elegbara (Revan, 1997, nouvelle édition: Record, 2005)

Traduction de Stéphane Chao

Revenir à la page d’accueil

 

Pas de commentaire »

Pas encore de commentaire.

Flux RSS des commentaires de cet article.

Laisser un commentaire

 

rguiegu brahim - ÅíãÇÁÉ æÑÏ... |
dislui |
sarivoli |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Critica
| Pollution nocturne
| Hem Dolunay Hem Gökkuşağı