Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 30 novembre, 2006

Châtiment

Posté : 30 novembre, 2006 @ 6:10 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 3 commentaires »

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Antonio José da Silva, O Judeu

(1707-1736)

C’est alors qu’une des sorcières se leva et dit au Petit Diable :
- Je viens, moi, luciférien commissaire, de sucer le sang d’un enfant qui était baptisé depuis deux jours à peine et sans vie je l’ai laissé…
Ce à quoi le petit Diable, poussant un cri formidable et terrifiant, répondit en ces termes :
- O monstre indigne de ma faveur et du titre de sorcière, tu mériterais, pour avoir fait telle chose, que sans tarder je t’ensevelisse corps et âme au tréfonds de l’enfer et que tu n’y voies plus jamais la lumière du jour ! Ne valait-il pas mieux qu’avant qu’on eût baptisé cet enfant, tu lui ôtasses la vie, et qu’ainsi, bien qu’il fût sans péché, il ne pût jouir de la gloire éternelle que notre orgueil a perdue, et dont le regret nous torture et nous fait rechercher la perdition de toutes les créatures, pour qu’elles n’occupent les places que nous avons laissées ? Tu tues les innocents en grâce, ô Hérode en jupons, pour qu’ils aillent goûter à l’éternel bonheur ! N’était-il pas préférable que cet innocent vécût jusques à l’âge de pécher et que nous eussions part sur lui, au lieu de l’écarter de ce péril en lui ôtant la vie ?

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Justine

Posté : 30 novembre, 2006 @ 6:03 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 1 commentaire »

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Le matin je suis Justine. C’est elle qui se lève la première. Elle ouvre les yeux rapidement et je surgis éveillée rapidement aussi. A peine voit-elle un rayon de soleil, il n’y a plus de lit qui la maintienne dans le sommeil.
Elle se lève et a envie d’ouvrir les persiennes pour apporter tout le jour dans la chambre. Elle ne l’a jamais fait par respect pour mon fils. Mais c’est une pulsion violente, ça je le sens. Elle se lève, s’habille des vêtements auxquels la journée l’invite, les sortant négligemment de l’armoire. Elle regarde mon fils António, et je vois les yeux bleus de la femme où, comme plongé dans de l’eau limpide, je suis resté pendant son sommeil. Je le vois dormir, rêver, exister dans la prison de la nuit.
Justine sort de la chambre, entre dans la salle de bains. Elle la regard comme un souci, un exemple du jour qui viendra. Même si elle a nettoyé ces jours-ci les carreaux et le marbre, elle y voit une crasse qui finit toujours par être oubliée. Ou c’est que la nuit, avec son obscurité, rapporte celle qu’elle a frottée à l’éponge une fois ou l’autre.
Et elle en sort rapidement, attendant, là-dehors et accablée d’un autre souci, qu’António se réveille et qu’elle puisse, enfin, nettoyer avec l’air du matin ce que la nuit a souillé.
Tous les jours je me réveille de nuit, je me lève à l’aube. Bien que la lumière du jour soit déjà là, la première image que j’ai devant les yeux n’existe pas. Elle est obscure, fermée, noire. Je me réveille avec le soleil qui brille déjà là-dehors et le coeur dans l’obscurité.
Je me lève et je vais en tâtonnant jusqu’à la fenêtre. Je touche la persienne qui s’ouvre en un clin d’oeil et le soleil, qui se lève toujours avant moi, qui réveille mon corps de la nuit de la chambre, luit enfin au fond de l’image. Je sais qu’un jour ils construiront des immeubles devant la maison. Je sais qu’un jour il faudra que je cherche un autre endroit où je puisse me réveiller avec le soleil au fond de l’image.

Jorge Reis Sá, Todos os dias, Dom Quixote, 2006

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