Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Châtiment

Classé dans : - XVIIème/XVIIIème siècles,littérature et culture — 30 novembre, 2006 @ 18:10

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Antonio José da Silva, O Judeu

(1707-1736)

C’est alors qu’une des sorcières se leva et dit au Petit Diable :
- Je viens, moi, luciférien commissaire, de sucer le sang d’un enfant qui était baptisé depuis deux jours à peine et sans vie je l’ai laissé…
Ce à quoi le petit Diable, poussant un cri formidable et terrifiant, répondit en ces termes :
- O monstre indigne de ma faveur et du titre de sorcière, tu mériterais, pour avoir fait telle chose, que sans tarder je t’ensevelisse corps et âme au tréfonds de l’enfer et que tu n’y voies plus jamais la lumière du jour ! Ne valait-il pas mieux qu’avant qu’on eût baptisé cet enfant, tu lui ôtasses la vie, et qu’ainsi, bien qu’il fût sans péché, il ne pût jouir de la gloire éternelle que notre orgueil a perdue, et dont le regret nous torture et nous fait rechercher la perdition de toutes les créatures, pour qu’elles n’occupent les places que nous avons laissées ? Tu tues les innocents en grâce, ô Hérode en jupons, pour qu’ils aillent goûter à l’éternel bonheur ! N’était-il pas préférable que cet innocent vécût jusques à l’âge de pécher et que nous eussions part sur lui, au lieu de l’écarter de ce péril en lui ôtant la vie ?

- J’ai fait force diligence, ô indigné Seigneur, répondit la sorcière, pour accomplir mon forfait avant qu’on ne le baptise, mais ses parents, en répandant de la moutarde partout de par les pièces, en tirant les verrous des portes et en disposant des épées nues au-dessus d’icelles, m’en ont empêchée ; je ne sais quelle aversion a pour nous la vertu de ces choses, qu’elles contrarient nos desseins avec grande violence, quand ce ne serait pas l’effet de quelque relique qu’on avait placée près de l’enfant, ce qui est bien le plus probable. Quant à ce que tu me dis qu’il aurait mieux valu que cet enfant vécût jusqu’en âge de pécher pour qu’il entre en ta juridiction, contente-toi de celle qui te revient par la faute originelle qu’a lavée le baptême. S’il avait vécu, il aurait pu aussi devenir un grand saint, et, outre qu’il risquait d’atteindre par là à plus de béatitude encore, il aurait pu advenir que par son exemple il ramenât à Dieu maintes âmes et t’ôtât ainsi des mains autant de proies. Et pour comble, tu es coupable de mon hydropisie de sang humain, toi qui m’en as fait insatiable sangsue.
- O enfer accourci ! reprit le Petit Diable. O Hérode en jupons ! O diable des diables ! Puisque tu te gonfles du sang que tu suces aux innocents baptisés, tu ne t’en iras pas d’ici, oh indigne de ma présence et de mes faveurs, sans le châtiment que tu mérites !
Et sans autre forme de procès, se saisissant d’un bâton parmi ceux que le soldat avait destinés au feu, il la roua de coups et lui tordit une jambe, ce dont elle resta boiteuse.

António José da Silva, brûlé par l’Inquisition, Oeuvres du petit diable à la main percée, (Obras do fradinho da mão furada), éd. Jérôme Millon, Grenoble, 1988. Traduit par Bernard Emery.

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