Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

mystère

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 4 décembre, 2006 @ 18:22

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- Si, tu vas voir, nous allons réussir à la restaurer. Tu sais ce qui est bizarre, pourtant, dans cette assiette ?
La question n’étant pas posée comme s’il s’agissait d’un examen, l’apprenti regarde l’assiette avec une aisance plus évidente. Et, après avoir observé, il découvre alors ce qui intrigue l’antiquaire, et qui l’intrigue lui aussi à présent. Alors il demande :
- Pourquoi est-ce que, contrairement à la norme générale, cette assiette a un visage peint au milieu ?

- Je ne sais pas. Quand on m’a commandé de la restaurer, j’ai lu beaucoup de choses sur cette poterie de Kashan. Je ne te dis pas ce que j’ai conclu, bien sûr, car je voudrais que tu en fasses autant. Or, il n’y a pas d’exemples d’assiettes de ce type ornées de portraits. Chose rare, d’ailleurs, dans l’art islamique qui reproduit rarement le corps humain. Et remarque comme le visage se détache bien au centre de l’assiette. Observe avec la loupe. Regarde. Attention aux bords cassés. Ils sont coupants.
L’apprenti centre la forte loupe au milieu de l’assiette qu’il a prise dans ses mains. Au milieu de l’assiette, un visage est dessiné. Il est, d’ailleurs, visible à l’oeil nu. Un visage aux traits nobles et bien marqués, au regard acéré et à la barbe clairsemée.
- Oui, c’est vrai, un visage peint bien en détail.
L’antiquaire plisse les yeux, tant ce visage lui paraît une chose étrange.
- Comme je te l’ai dit, ce n’est pas commun. Mais remarque encore une chose, regarde mieux. Ici, sur ce bord, près de la fracture. Qu’est-ce que tu vois ? Ajuste la loupe. Oui… comme ça. Dis-moi ce que tu vois.
- Le début d’une phrase.
- Le début d’une phrase, répète l’antiquaire. Le début d’une phrase. Le reste est dans ces autres fragments. Maintenant regarde.
L’antiquaire prend les fragments brisés qu’il emboîte adroitement et sûrement sur le bord cassé. Et devant leurs yeux à tous les deux apparaît la phrase complète, mais si indistincte au regard humain, si effacée d’être si petite, qu’on pourrait dire qu’elle n’a pas été écrite là pour être lue, mais plutôt murmurée en secret par certains êtres plus attentifs des générations futures. Contrairement au visage, qui s’exhibe au centre de l’assiette.
- Qu’est-ce que ça dit ? demande l’apprenti sans lâcher des mains la puissante lentille.
- Tu connais l’arabe ? Moi non plus. Désolé, je ne sais pas tout.

Sérgio Luís de Carvalho, Retrato de S. Jerônimo no seu estúdio, Campo das Letras, 2006

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