frères ennemis
… Il est vrai enfin que, si entre le début de la construction de la tour et le jour où elle sera prête à recevoir l’horloge, je parviens à convaincre la majorité des habitants de le prier de ne pas l’installer, pour le bien de tous, il ne le fera pas. Voici en quoi consiste notre différend. Vous pouvez en parler et expliquer mes motifs et mes raisons, car il est sûr que le juge en fera autant en ce qui le concerne.
Voici que lentement, le faucon lève la tête.
- Mais ce litige entre vous ne pourra pas marquer la fin de votre amitié, frère ?
- Pas même dix villes comme celle-ci, ni dix désaccords pires que celui-ci, ni même la tour de babel tombée sur nous ne mettraient cette amitié en péril.
Matias aires demanda alors :
- Vous êtes vraiment convaincu que cette horloge est une semence de péché, frère Gil ?
- Ah, le péché… Sachez que je ne crois pas que l’homme naisse pécheur ou innocent. Il se contente de naître. Le péché et l’innocence se trouvent ensuite dans les cœurs, sur les visages et dans les œuvres de ceux qui l’entourent. Pour moi, cette horloge est surtout la semence d’une époque, d’un état d’esprit, et d’un monde qui éloigne davantage les hommes d’eux-mêmes et de dieu. Vous me comprenez ?
Le colporteur le comprenait tout à fait, mais laissez-moi vous dire que ni frère Gil ni Luís de Castro n’avaient besoin de la compréhension des gens. Ceux-ci les suivaient par respect naturel et par amour, tout comme d’autres suivaient frère goutte, mus par un mélange de foi et de terreur.
(Terreur récente, car il ne s’était passé que trente ans depuis que monseigneur le roi jean, troisième du nom, avait instauré au portugal le saint-office, avec ses sièges à lisbonne, coimbra et évora, couvrant ainsi chaque pouce de la nation. Terreur récente, mais qui augmentait d’année en année.)
Sérgio Luís de Carvalho, As horas de Monsaraz, Campo das letras, 1997