Après la fin
En fin d’après-midi, le téléphone sonna. Il sonna plusieurs fois, comme s’il n’y avait personne à la maison. C’était une journaliste qui tentait de recueillir son opinion sur un homme de lettres qui s’en était lui aussi allé manger les pissenlits par la racine. Malgré le froid, un soleil ironique narguait Copacabana. Dans un pays d’Afrique on avait découvert la plus vieille momie du monde. Mais quelle importance peuvent avoir les momies pour les cadavres ?
Le quatrième jour, il manqua un rendez-vous. Son éditeur, après plusieurs reports, l’attendait à deux heures dans son bureau climatisé dans un immeuble du centre. Bien loin de Copacabana. Ils devaient discuter de la réédition de ses anciens livres, et, bien sûr, parler du livre qu’il aurait dû être en train d’écrire pour qu’il soit publié avant la fin de l’année. Mais il n’y avait aucun livre de prêt. Même pas une ébauche mentale. Rien. Et à deux heures de l’après-midi, l’éditeur regarda la chaise vide en face de lui et dit, ce type, je vais le tuer.
Le cinquième jour, il y eut un appel de son médecin, qui avait passé un mois à voyager à travers l’Europe et avait oublié de l’informer que son cas était grave. Grave, non : alarmant. (Pas au point de retarder ses vacances, bien sûr). Mais c’était la faute de son patient, en l’occurrence. S’il avait été averti de son tragique destin, cela n’aurait rien changé. Son coeur aimait les récits courts, les fins subites.
Le sixième jour, le concierge frappa à sa porte, conformément à son rôle de concierge. La voisine s’était plainte d’une puanteur de gaz dans le couloir. Dans un autre appartement du quartier, un autre écrivain réfléchit à deux fois avant de l’appeler pour lui demander de participer à une table ronde dans une faculté de Gávea. Il pesa bien les conséquences et se souvint que, la dernière fois qu’il l’avait invité à manger chez lui, il l’avait surpris en train de passer la main sur les fesses de son épouse à la cuisine. Le débat traiterait des conteurs brésiliens contemporains. C’était l’un des meilleurs, il lui fallait l’admettre. Mais sa femme, qui n’avait rien dit de l’incident de la cuisine, serait là. Avec ses fesses. Non. Il n’exposerait jamais les fesses de sa femme à la main de celui qu’il considérait comme un grand conteur urbain du Brésil. Et qu’était un conte comparé à des fesses ?
Le septième jour, un soleil métallique refléta sur Copacabana la lumière irréelle de ses yeux aveugles. Les survivants continuèrent de tisser leur aimable routine le long de l’abîme. L’écrivain était toujours allongé là sur le sol.
Mauro Pinheiro, A primeira semana depois do fim, http://www.releituras.com/