Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

inquiétude

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 16 décembre, 2006 @ 0:27

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Sorcière

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Mais un soir d’automne quelque chose arriva qui vint troubler le calme, agiter le temps, réveiller les fantômes endormis. Paul était seul dans la librairie, feuilletant un album de bandes dessinées, lorsqu’entra un homme grand. Il le reconnut immédiatement. Il portait une gabardine usée, peut-être la même que la première fois. Il avait beaucoup vieilli, les cheveux châtains étaient devenus blancs, mais les yeux étaient restés les mêmes, montrant une infinie lassitude. Paul resta assis au bureau, sentant un frisson lui parcourir le corps. L’homme s’arrêta à quelque distance de lui, ébaucha un faible sourire.
- J’avais peur de ne plus retrouver la librairie – dit-il avec son accent étranger.
Paul attendit. La voix indécise de l’homme poursuivit, il dit qu’il lui avait vendu un livre quelques temps auparavant et qu’il aimerait le récupérer, lui indiquant le titre et l’auteur.
Le jeune homme fit semblant de consulter un catalogue, puis murmura qu’il ne l’avait pas. L’homme fit un geste de la main, exprimant le découragement, mais sur son visage on lisait un certain soulagement.
- Je ne le retrouverai jamais.
Paul ne dit rien.
- Dans ce livre il y avait la photographie d’une femme… comme une gravure en noir et blanc… j’ai été longtemps obsédé par elle.
- Pourquoi ?
- Elle ressemblait beaucoup… à quelqu’un que j’ai connu.
Paul sentit un frisson de mort le parcourir. Comme la première fois, il souhaita que cet homme ne soit jamais entré dans sa librairie. Ou du moins qu’il soit reparti, vite, avant de provoquer un mal irréparable. Mais il demanda à voix basse :
- Quand ?
L’homme frissonna.
- Il y a longtemps.
- Longtemps…
- C’était ma femme.
Il se retourna et, les épaules tombantes, il se dirigea vers la porte. Paul ferma les yeux et lorsqu’il les rouvrit l’homme avait disparu. Il retint son envie de le suivre, de lui poser des questions. De connaître cette histoire. Et subitement il comprit que l’unique chose qu’il désirait, c’était rentrer chez lui, être avec sa femme et sa fille, s’assurer qu’elles allaient bien, ou simplement qu’elles existaient.

Ana Teresa Pereira, « Des fleurs pour une sorcière« , in Se eu morrer antes de acordar, Relógio d’Água, 2000

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