interrogations
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Acácia Resende pénétra sur le plateau en revenant de la cafétéria, où elle avait bu un café au lait corsé et mordu dans un pastel de nata très parfumé à la cannelle. En croisant deux électriciens qui traînaient des câbles elle fut un peu gênée par son sac à main et la serviette où elle transportait le scénario du film et autres paperasses.
Puis elle se dirigea vers un recoin relativement isolé où elle se mit à consulter l’agenda des rendez-vous. Toutefois, son attention la fuyait et elle avait des difficultés à se concentrer. Quelle malédiction, de ne pas être capable de sortir de soi-même ! D’ailleurs, tout bien considéré, personne n’y parvenait : un sage quelconque avait dit, tout à fait judicieusement – qui était-ce ? un philosophe ? peut-être Condillac ? – que pour autant que nous allions vers le haut ou vers le bas nous sommes toujours au même endroit parce que nous ne sortons jamais de nos sensations… Elle faisait un métier qu’elle aimait, sans aucun doute, écrire des histoires ou des essais basés sur les expériences de la vie, dans un cas comme dans l’autre elle était en rapport avec des êtres humains – ou plutôt, avec des personnages, certains inventés et d’autres réels, mais étaient-ils vraiment inventés, les personnages inventés ? Et les réels, étaient-ils vraiment réels ? Les personnages inventés dans ses romans, est-ce qu’elle n’allait pas les chercher dans la réalité, les composant d’astucieux petits morceaux des gens réels qu’elle avait connus, à commencer par elle-même ? Et les personnages réels dont elle donnait l’histoire en exemple dans ses études et ses thèses de psychosociologie, ne finissaient-ils pas par devenir « autres », un peu déformés sinon même défigurés, et par conséquent irréels, quand elle se servait seulement des traits qui lui convenaient le mieux pour sa démonstration ?
António de Macedo, As furtivas pegadas da serpente, Caminho, 2004
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