Un mythe
- Je veux modérer vos espoirs. Et je me sers pour ça d’une comparaison. Vous n’ignorez pas, sans doute, que Sherlock Holmes est une création du médecin écossais Conan Doyle et, si vous avez lu quelques livres de cet auteur célèbre, vous pensez certainement que l’excellence de déduction et l’observation perçante sont des vertus intrinsèques du personnage, lesquelles lui permettent de résoudre n’importe quelle affaire, pour abstruse qu’elle soit. Pourtant, il existe un phénomène de réception retardée du processus « Holmes », en Grande-Bretagne : les romans de Doyle ont atteint leur pic de popularité maximum au moment où la méthodologie de son détective était mise en cause en Autriche par un certain Hans Gross. Cet homme venait de créer l’embryon de ce que nous appellerions aujourd’hui la police scientifique, qui passe par la mise à disposition au service de l’enquête criminelle des moyens techniques les plus perfectionnés, c’est à dire, de ce que nous nommerions aujourd’hui la technologie de pointe. La police scientifique existe : un cheveu ou un fil de laine trouvé sur le lieu du crime peuvent identifier le type capillaire du criminel ou le pull-over qu’il portait quand il a commis son délit. Mais avez-vous vu un film, une série télévisée, un documentaire sur la chaîne Historia qui évoquait la figure de cet obscur criminaliste autrichien ? Pas moi. Vous avez vu, certainement, au cinéma ou à la télévision, plusieurs reconstitutions de Holmes, glosées sur les tons les plus variés, en train de débrouiller les affaires les plus incroyables au moyen de ses envolées déductives. Je veux dire : le cinéma et la télévision ont multiplié dans l’imaginaire des foules les effets que le roman a universalisés depuis longtemps d’une façon assez impressionniste. Il est sûr que les méandres de la police scientifique ont été dévoilés, surtout par les films américains. Mais cette divulgation est relativement récente, et reste mitigée. Le mythe de l’efficacité de Holmes, lui, ne cesse de grandir, après chaque film ou chaque série télévisée dont il est le personnage principal. Holmes peut parler au coeur de n’importe qui, contrairement à la technologie de pointe. C’est cet Holmes à visage humain que les gens croient rencontrer lorsqu’ils s’adressent à nous, oubliant qu’il est un être d’encre et de papier et nous des terriens de chair et d’os qui grattons souvent bien en-dessous du niveau minimum de dignité pour déterrer notre pain quotidien.
Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001
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