histoire vraie (suite)
Rembrandt Le retour du fils prodigue (détail)
L’important, c’est que, lorsqu’il arriva à Ondjiva, venant d’on ne sait où, sans mémoire et même sans parler la langue locale, ce qui fait que Juliana Nangove fut obligée de communiquer avec lui en portugais, la femme l’accueillit comme on se doit d’accueillir un naufragé, un fils prodigue ou un amant perdu. Quelques jours plus tard, elle ouvrit les fenêtres, fermées depuis si longtemps, et alla au marché commander un bœuf, de quoi boire et d’autres produits pour le samedi suivant. Ensuite, elle fit le tour des parents qui l’avaient oubliée et leur demanda de venir chez elle le week-end, car elle voulait leur présenter quelqu’un et leur annoncer une décision importante qu’elle avait prise.
Comme on peut aisément l’imaginer, mais il faut l’ajouter ici pour, disons, arrondir l’histoire, les parents de Juliana Nangove trouvèrent que sa décision d’épouser Pedro Canivete João était une absurdité totale. S’ils ne prirent pas de mesures contre le jeune inconnu, c’est seulement que, lorsqu’ils le regardèrent en face, ils découvrirent dans son cœur une profonde et apaisante ingénuité. C’est eux-mêmes, du reste, qui le défendirent de la furie de la ville qui, au début, était persuadée que Pedro Canivete João devait être, sinon un sorcier, du moins un bandit, à qui il fallait donner une leçon pour lui apprendre à ne pas abuser de la patience populaire. Juliana Nangove, toutefois, était plus que décidée, car, même si elle était seule à le savoir, la vérité, c’était que, depuis qu’elle avait rencontré Pedro Canivete João, elle avait cessé de rêver de monsieur Pereira. C’est pourquoi, passée la commotion collective initiale, ils décidèrent tous de s’en laver les mains. La vieille, décidément, était folle.
João Melo, « O amor é eterno enquanto dura », in The serial killer, Caminho, 2004