Bon droit (suite)
Le chef du groupe des soldats, officier patenté, perdit patience. Voyons, vous ne voyez pas que nous sommes sur une piste d’aéroport ? Celui à qui il s’adressait rit, respectueux mais sincèrement amusé, en demandant : Un aéroport, chef ? Un aéroport c’est là où atterrissent les avions ! Expliquer qu’ils étaient presque au bout de la piste, que de là on ne voyait pas les hangars ni les avions stationnés sur le terrain et qu’une grève du personnel rampant et volant avait pratiquement réduit à zéro la fréquence des vols ne ferait que prendre beaucoup de temps et n’allait rien arranger face à tant d’inconscience et d’assurance. Tu as une minute pour quitter les lieux du délit, sinon tu seras puni en conséquence, dit l’officier, engageant ostensiblement une balle dans le canon de son arme. Toujours très droit, le citoyen s’appuya encore davantage sur ses droits constitutionnels : Je ne sortirai d’ici que quand je verrai un avion atterrir sur mon terrain. Ou alors, je mourrai ici ! Ce n’était pas l’envie qui leur manquait à tous de satisfaire à cette dernière volonté, mais pour une fois ce fut la voix du bon sens et du respect de la vie d’autrui, même dérangeante : Très bien, alors ! Nous allons attendre l’arrivée de l’avion ! Le soleil s’était couché, pendant ce temps, et le ciel explosait en tons de rose jaune et bleu orangé, splendides à voir. Ensuite il se tacha de divers gris, jusqu’à ce que la nuit éteigne toutes les distances et que seule une clarté ténue au-delà de l’horizon rappelle encore le plongeon de l’astre-chef. Le chef terrestre, lui, dont une clarté échauffait aussi la tête, se repentait déjà de la faveur accordée, alors qu’il n’avait qu’une envie, celle de dormir, car il était de service depuis le jour précédent, sans reddition. Ses subordonnés n’avaient pas l’air de trop s’en faire et s’étaient déjà égaillés peu à peu vers les terres proches, en position démilitarisée, riant et tenant des conversations qui valaient autant ici qu’ailleurs. L’aspirant habitant, pour sa part, s’était étendu de tout son long à l’endroit où il avait prévu d’installer son futur lit, dans une position de détente purement domestique. Il ne paraissait même pas déplorer l’absence de télévision. A l’aube, aucun avion ne s’était disposé à confirmer la version des militaires, et par conséquent tous, y compris le chef, dormaient à poings fermés sous les étoiles. Et ce fut l’une d’elles qui se mit à grandir, grandir, grandir, et à devenir sonore à mesure qu’elle s’approchait de la piste. C’était un avion d’une compagnie étrangère, en position d’atterrissage forcé ! Le freinage à bloc, tous moteurs ronflants, réveilla enfin les ronfleurs locaux, perplexes devant les bruits et la lumière intense qui avaient eu raison de leur sommeil et de leur fatigue, et aussi devant la présence fantasmagorique d’un monstre de métal dont le nez était si proche des leurs. Il n’y eut que l’officier qui parla, mais son commentaire refléta le sentiment commun des ex-endormis, surtout celui qui avait signalé avec toute la rigueur possible les limites de sa propriété putative : Ces types sont complètement fous ! Un de ces jours ils nous atterriront carrément dans la maison !
José Mena Abrantes (Angola) Caminhos des-encantados, Caminho, 2000