Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 15 janvier, 2007

La jeune fille aux rossignols

Posté : 15 janvier, 2007 @ 11:08 dans - XIXème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Santarém, azulejos

Cette fenêtre m’intéressa.
Qui aurait le bon goût et la chance de vivre ici ?
Je m’arrêtai et me mis à aimer la fenêtre.
Elle m’enchantait, elle me retenait là comme par un sortilège.
Il me sembla entrevoir un rideau blanc…et une silhouette derrière… Imagination, c’est sûr ! Si la silhouette était féminine !… Le roman serait complet.
Comme cela doit être beau de voir le soleil se coucher de cette fenêtre !…
Et d’entendre chanter les rossignols !…
Et de voir se lever une aube de Mai !…
S’il y avait quelqu’un ici qui en profite, de la délicieuse fenêtre ?…qui l’apprécie et sache jouir de tout le plaisir tranquille, de toutes les saintes joies de l’âme qui semblent voleter autour d’elle ?
Si c’est un homme, c’est un poète ; si c’est une femme, elle est amoureuse.
Ce sont les deux êtres les plus semblables de la nature, le poète et la femme amoureuse ; ils voient, sentent, pensent et parlent comme les autres ne voient, ne sentent, ne pensent et ni ne parlent.
Dans la plus grande passion, dans la plus pure des affections de l’homme qui n’est pas poète, entre toujours son content de vile prose humaine : c’est un alliage dans lequel n’est pas travaillé son or le plus fin. La femme, non ; la femme amoureuse se sublime vraiment, s’idéalise aussitôt, elle est toute poésie ; et il n’est pas de douleur physique, d’intérêt matériel, ni de délices sensuels qui la fassent descendre au positif de l’existence prosaïque.
J’en étais là de mes méditations, lorsqu’un rossignol entama la cantiga la plus belle et la plus éperdue que j’aie entendue depuis longtemps.
Il était au pied de ladite fenêtre !

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Marche forcée

Posté : 15 janvier, 2007 @ 9:33 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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On rentre à la ferme (Tissu appliqué d’Evelyne Régnault)

« On multiplie ses pas pour avoir plus de terre … On bouge et le monde trouve son assise. Il suffit d’un pas pour que le monde commence. »

(J.-L. Giovannoni)

Ma mère me disait, qu’enfant, ses chaussures c’étaient des sabots ou des chaussures noires taillées dans du caoutchouc. Et c’était heureux d’avoir des souliers sinon on allait pieds nus.
Les gens marchaient énormément. Des villages reculés, des bourgades escarpées, des sentiers poussiéreux plutôt que des routes asphaltées… Et ça montait et ça descendait. On marchait pour aller travailler aux champs, pour aller à la foire, pour aller à la messe, pour aller à l’école, bien souvent le soir, dans un village plus lointain. On marchait à l’occasion des fêtes paroissiales. À l’occasion des processions, des mariages et des cortèges funèbres. Et pour aller travailler, plus loin toujours, dans les campagnes où l’on avait besoin de bras… garder des troupeaux, faire les semailles les récoltes, pour servir à la ville comme servante. Les hommes marchaient pour les mêmes raisons, et parfois pour l’armée. Bref, ce que ça pouvait marcher… donc des chaussures en caoutchouc, quand il y en avait, c’était bien.
Les fameuses portugaises bien droites, mollets rondelets et musclés, et hop, ça s’élance dans les villages, dans les villes… On marche loin pour pouvoir vivre. On va se louer ou on est « placé » à la ville. On y va à pied et, quand on est maltraité dans une maison de bourgeois ou de paysans plus aisés, on repart. On revient à pied.
Parfois il peut y avoir une carriole, un âne qui s’arrête sur le bord du chemin. Rarement une voiture. De toute façon est-ce qu’une voiture se serait arrêtée pour prendre quelqu’un au bord d’une route, une femme, un gamin, un homme aux pieds crevassés, aux chaussures plus défoncées que le maigre asphalte… Vous le faites vous aujourd’hui ? Alors pourquoi les quelques nantis qui avaient des voitures autrefois dans ces coins-là l’auraient-ils fait ?
Pour aller au Brésil autrefois, on marchait, mais aller à Lisbonne prendre un bateau, ça faisait loin. On pouvait peut-être prendre un train… jusqu’au train on marchait. Sur le quai, on piétinait. Et paf, traversée de trois semaines, où les pieds tournaient en rond. Ils devaient soudain se demander ce qui pouvait bien leur arriver.
Pour aller dénicher le paradis français, le pied… s’il n’y a pas de passeport, et bien il y a la marche de nuit jusqu’à la frontière. Ça faisait un peu de changement car avant c’était toute la sainte journée qu’on marchait. Le corps devait se reposer le soir pour bien travailler le lendemain. Pas trop traîner, pas le soir… on sait jamais les mauvaises pensées dans les pieds, dans les mains, à la nuit tombée… vaut mieux s’affaisser.

Ilda Mendes dos Santos, in Récits de Voyage, www.sudexpress.org

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