Paralysie
Frederico, phallocrate, à l’oreille de Maria : « Ton bonheur, c’est ma queue ! Tu es attachée au monde par ce truc que j’enfile à l’intérieur de toi. Vas-y, dis-le : je suis ton esclave… » Oui, son esclave. Dans quelques heures, alors, elle serait l’esclave parfaite, complète, intégrale, puisque, finalement, elle avait accepté de vivre avec lui.
Dehors : trois coups, un silence très bref, comme une respiration, puis trois coups. Frederico pense à sortir de la voiture, à entrer, mais il se souvient que la vieille n’aime pas beaucoup sa tête. Il attendra. Maria viendra, bien sûr.
Il lui avait demandé trois fois, auparavant, de vivre avec lui. Bien que ce soit ce qu’elle désirait depuis toujours, elle avait répondu non, encore aujourd’hui il ne sait pas expliquer pourquoi. Les trois fois, Frederico l’avait baisée furieusement, presque comme un animal, et ensuite, il l’avait ramenée chez elle sans prononcer un mot, muet comme une pierre.
A quoi ressemblerait leur vie commune ? Ce qui faisait peur à Maria : son style de vie à lui, toujours entouré d’amis (avis de la meilleure amie de Maria : un fêtard, on dirait qu’il n’a jamais étudié. »), son habitude indéfectible, le samedi, de se faire des ventrées de funje [1](« Le funje ne se mange pas : il se bouffe », disait-il en riant), en somme, son excès de libéralisme, son libertinage, même. Depuis toute petite elle avait été habituée à la discipline, à des horaires rigoureux, aux normes clairement établies, au rangement et au ménage. (« Je ne supporte pas de voir une particule de cendre sur le tapis. ») Elle avait toujours tenté, de plus, d’inculquer ces habitudes à ses deux fils, tâche beaucoup plus ardue à présent, quand on sait que l’éducation est à la traîne et que les professeurs en savent bien moins que leurs élèves. Frederico aiderait-il à donner aux garçons une éducation convenable ? Maria avait de sérieux doutes, du moins à en juger par l’ironie avec laquelle il commentait sa manière de les élever. « Mon amour, cesse d’interdire aux enfants de marcher pieds nus dans la maison ! Ils vont avoir les pieds plats… », disait-il. Et aussi : « Laisse-les ouvrir les voyelles ! Ne te fais pas d’illusions : le portugais va se modifier ici, il est déjà en train de changer… »
Dès que, la semaine précédente, Maria avait accepté la quatrième proposition en dix ans de vivre avec Frederico, elle avait cessé de rêver. Depuis qu’elle l’avait rencontré et qu’il avait réussi à l‘entraîner dans son lit, elle rêvait régulièrement de lui, l’imaginant comme un homme immense qui s’approchait toujours avec un éclat silencieux dans le regard, pour l’emmener dans ses doux bras chaleureux vers un endroit fait de nuages, d’oiseaux piaillants et de fumées diaphanes et sucrées. Frederico était attentionné, sensible, il lui avait permis de se sentir, pour la première fois, une vraie femme. Il était fort aussi, sûr, il lui ôtait tous ses doutes, il l’aidait à mieux comprendre les choses, à supporter le quotidien. « Oui, je crois que je le veux… » Mais pourquoi, alors, les rêves avaient-ils cessé ? Et pourquoi ce vide atroce (« plus angoissant que celui que j’éprouvais quand je vivais avec Rui ») cette peur qui la paralysait, cette envie subite de rester de là pour toujours, cachée sous les draps de sa mère, d’abdiquer de tout, y compris de la fête du nouvel an ?
João Melo (Angola) « Maria chérie », in Imitação de Sartre et Simone de Beauvoir, Caminho, 2003
1) Plat traditionnel angolais, farine de manioc ou de maïs accompagnée de viande ou de poisson.
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