Nuit de fête à Luanda
(Joaquim vient de voir un reportage où il était question de femmes portuguaises arrivant en Angola pour reprendre leurs maris…)
- Putain ! ne put s’empêcher de s’exclamer Joaquim Manuel da Silva, à la fin de ce reportage. Plus que stupéfait, il était littéralement paniqué. Son regard se porta vers le côté où se trouvait, splendidement nue, Zinga Cristina, une magnifique noire angolaise qu’il venait de découvrir au Club Paradise, d’à peine dix-huit ans, aux yeux profonds qui contenaient toute la sagesse du monde, aux seins agressifs dressés vers le ciel, aux cuisses entièrement exposées, à la peau sombre et lisse comme du velours, mais ce qu’il vit fut l’image de Maria des Douleurs, son épouse, grosse, les cheveux gris, toujours renfrognée, qu’il avait laissée à Montemor-o-Novo.
Et maintenant ? Cette question se mit, à partir de ce moment-là, à lui marteler la tête. Je dois dire, pour sa défense, que, ce jour-là, il ne manqua pas de respecter les obligations qu’il venait de contracter auprès de Zinga Cristina, car le souvenir de Víriato et d’autres de ses courageux ancêtres coulait encore dans ses veines. Mais, pour la belle Angolaise, ce ne fut rien d’extraordinaire. Ce Portugais-là avait beaucoup à apprendre.
[...]
Pendant exactement une semaine, il sonda Internet, essayant de trouver plus amples renseignements sur les nouvelles boulangères d’Aljubarrota, mais rien. Il téléphona à tous ses amis de Montemor-o-Novo, mais aucun ne put l’aider non plus. Le plus étrange, c’est que, de même qu’aucun autre media ne parlait du sujet, personne non plus (du moins parmi les gens qu’il avait contactés) n’avait vu le reportage à la RTPi. Il devait s’agir, probablement, d’un scoop de la station de télévision portugaise, mais si extraordinaire qu’aucun autre média n’osait le citer ou le commenter, comme d’habitude.
Joaquim Manuel da Silva était si inquiet que, pendant tout ce temps, il n’eut plus aucun contact avec Zinga Cristina. C’est pourquoi il ne sut pas, naturellement, que l‘Angolaise avait déjà rencontré un Italien qui avait promis de l’emmener à Rome, promesse dont le narrateur ignore si elle fut acceptée ou non. Un doute, cependant, torturait constamment, à ce moment-là, la tête de son ex-amoureux portugais : comment Maria des Douleurs avait-elle appris, deux semaines seulement après son arrivée en Angola pour prendre en charge la cuisine d’un restaurant japonais qui allait ouvrir bientôt à Luanda, qu’il avait rencontré Zinga ?
Il décida donc d’éclaircir l’histoire. Puisque, à distance, il ne parvenait pas à en savoir plus sur le corps expéditionnaire des portugaises, auxquelles Maria des Douleurs était certainement liée, – Je me coupe les couilles si elle ne l’est pas ! disait-il – de la façon la plus radicale pour un homme – il décida de faire le voyage jusqu’à Montemor-o-Novo, afin d’empêcher sa femme de s’embarquer dans cette ridicule aventure.
(Montemor o Novo)
Comme on dit communément, c’était la dernière des choses à faire.
Quand il arriva à Montemor-o-Novo, sans avoir prévenu personne, il faisait déjà nuit. Il n’y a que lui, pourtant, qui puisse être blâmé du fait que, après être entré dans la maison le plus silencieusement possible pour ne pas réveiller Maria des Douleurs, en se servant des clés qu’il avait toujours sur lui, il ait trouvé le compère Antero sur elle, tous deux grognant et reniflant comme des porcs. De toute façon, Joaquim Manuel da Silva était un type pacifique, et il se contenta de se demander :
- Et maintenant ? Je lui tire une balle dans la tête ou je repars en Angola ?
Si cette histoire s’achève dans le sang, je n’y suis strictement pour rien.
João Melo (Angola) « Les Portugaises arrivent », in The Serial Killer, Caminho, 2004
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