insignifiance
Escalier à Ferragudo (Algarve)
15 novembre
Sous ces plafonds, entre ces quatre murs, chacun cherche à réduire la vie à une insignifiance. Tout consiste en ce travail insane : réduire la vie à une insignifiance, édifier un mur fait de petites choses contre la vie. La recouvrir, la dissimuler, l’oublier. La cloche sonne le glas, personne n’entend plus le son comme un glas. La mort se réduit à une cérémonie, où les gens s’habillent de deuil et laissent des cartes de visite. Si je pouvais, je restreindrais la vie à un ton neutre, à une seule odeur, le moisi, et la ville à une couleur de buvard. Les êtres et les choses engendrent la même moisissure, comme une végétation cryptogamique, née au hasard d’un lieu humide. Ils ont leur roi, leurs passions et un fumet suspect. Ils disparaissent, ressurgissent sans raison apparente et d’un jour à l’autre dans un empan de l’Univers qu’ils prennent pour le monde entier. Ils absorbent les mêmes sels, exhalent les mêmes gaz, et suppurent d’un écoulement phosphorescent, qui correspond peut-être à des sentiments, des vices ou des discussions sur l’immortalité de l’âme.
Les passions dorment, le rire postiche fait son lit, les mains s’habituent à faire tous les jours les mêmes gestes. La même toile poisseuse enveloppe et neutralise, et il n’y a qu’un bruit qui se détache, celui de la mort qui a devant elle un temps illimité pour ronger. Il y a ici des haines qui minent et contre-minent, mais comme le temps suffit pour tout, ils minent un empan par an. Leur patience est infinie et enfonce des pointes dans la terre : elle a pris la couleur de la pierre et tous les jours elle croît d’un pouce. L’ambition n’avance pas un pied sans avoir l’autre bien posé. La ruse avance et recule, et, même si on l’écoute, on n’entend pas le bruit de ses pas. En apparence l’insignifiance est la loi de la vie : c’est l’insignifiance qui gouverne la ville. C’est la patience, qui attend aujourd’hui, demain, avec le même sourire humble : – Prenez patience – et ses doigts agiles tissent une toile de fer. Il n’y a pas d’obstacle qui la ralentisse. – Prenez patience – et elle encercle, revient en arrière, attend année après année, et regarde avec les mêmes yeux sans expression et le même sourire imprimé. Patience… patience… Le mensonge est d’une autre caste, il montre ses mille couleurs et tout le monde le trouve agréable. – Mais oui… mais oui.
Raul Brandão, Húmus, première édition Lisbonne 1907
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