Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Danger

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 8 février, 2007 @ 22:20

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A cabocla, Carlo de Servi (1871-1927)

Irinéia arrivait par la route, on entendait au loin sa chanson ancienne, une ritournelle aussi gaie que les rubans dans ses cheveux, que le vermeil de ses joues et le rouge mal passé sur ses lèvres. Elle savait que chez le Vieux elle trouverait un abri, car les portes étaient toujours ouvertes. Quand elle en aurait l’occasion, elle lui dirait la nouvelle. Elle désirait se reposer des nuits dormies sous les arbres, exposée au froid et aux assauts de la peur. L’appentis offrait un sol propre et d’odorantes poutres de umburana, où appuyer son corps fatigué. Et en attendant le repos, un silence de rien, et puis tout dire. Elle pouvait chanter si elle voulait, être joyeuse ou triste. Le Vieux balançait la tête, riait doucement, parlait bas. C’était bon d’être là. Il y avait l’appentis devant, où le Vieux était assis, et, derrière, la maison à trois baies, grande comme l’âme d’un homme qui avait beaucoup vécu. Personne ne savait qui avait été le premier à exister, le Vieux ou la maison. On l’avait toujours vu là, ses cheveux perdant leur noirceur, comme le jour, la lumière.

Elle n’était pas pressée. L’obscurité ne devrait-elle pas irrémédiablement succéder à la clarté ? Elle avait le temps de manger une bouillie grasse avec de la farine et de la canne râpée, de mélanger le blanc et le brun jusqu’à ce que les couleurs et les goûts se mêlent. Elle avait le temps, aussi, de fumer une cigarette enroulée dans de la paille de maïs, de voir monter la fumée et de sentir le léger étourdissement qui arrivait lentement, comme le malheur qui s’annonçait.
Irinéia pensait à la nouvelle. La lune était décroissante et sa tête possédait tout son bon sens, ses pensées étaient en ordre. Les jours de trouble étaient passés avec la pleine lune. Elle avait subi son tourment de femme liée à un destin de folie. A présent elle pensait au Vieux, à la méchanceté qui le guettait. Que pourraient-ils contre cet homme qui regardait sereinement devant lui, comme s’il voyait tout ? Les soldats de la volante entreraient dans la maison, saccageraient ses maigres biens, auraient l’impression de l’avoir dévastée. Mais non. Le Vieux serait toujours là, ferme, la poitrine fermée. La maison possédait de nombreuses portes et fenêtres, toujours ouvertes. Entrait qui voulait. Certains ne passaient pas l’appentis. Au cœur d’une maison, on arrive les yeux fermés.
- Le lieutenant de la volante a appris que Chagas avait dormi ici, dit Irinéia d’un trait.
- Sûr ? demanda le Vieux.

Ronaldo Correia de Brito, (Céara) « En attendant la Volante », in Faca, Cosac Naify, 2003

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