Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

acrobaties

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 18 février, 2007 @ 18:45

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Du dehors, et malgré les lézardes convaincantes et les murs qui s’effritaient, le bâtiment leur parut encore suffisamment solide. Non sans peine, ils investiguèrent ensuite à l’intérieur, piétinant avec agilité les gravats accumulés et traversant en un silence compénétré les salons successifs, attaqués par l’humidité et les odeurs nauséabondes qui s’échappaient des murs et du sol tout éventré. Une cour intérieure, à l’arrière, en particulier, leur plut : pour son éclairage tamisé, pour les arcs capricieux des balcons du premier étage et aussi parce que c’était un décor majestueux pour piler le mil et le maïs sans finir de faire écrouler la maison. A la fin du rigoureux examen, la construction les séduisit. Elle était parfaite pour les fins visées : la création d’un foyer suffisamment ample pour les abriter eux et les nombreux voisins et amis désireux d’aller vivre dans la partie basse de la ville. Sur-le-champ ce fut décidé : occupation immédiate et irrémédiable, avec la conséquente transmutation de tous leurs biens, maux, animaux domestiques et de compagnie et aussi, comment faire autrement ! de tous leurs inévitables parents.
Ici il faut peut-être rappeler que l’occupation de ladite construction était formellement interdite par une plaque scrupuleusement peinte comportant tous les interdits appropriés, y compris les scellés apposés par l’organisme de tutelle, et renforcée par des solives clouées en croix sur les portes et les fenêtres, lesquelles, comme ils se méfiaient, furent immédiatement utilisées pour commencer à déshumidifier l’ambiance et faire fuir en les enfumant les animaux, insectes et autres intrus de taille infime. Pour décourager, entre temps, toute velléité légaliste ou guerrière de contre-attaque, dans la première fournée d’habitants furent inclus deux juristes frais émoulus avec leurs familles respectives, un inspecteur de police et trois officiers supérieurs de l’armée, dont deux étaient en attente d’un logement depuis les combats triomphaux de la décennie précédente dans le Sud du pays. Complétaient le premier lot, au niveau des cadres moyens, une enseignante, un journaliste stagiaire, un ancien boursier avec son épouse étrangère et un éternel candidat au ministère, qui pour des raisons obscures et malgré les fortes recommandations d’anciens guérilleros, n’avait jamais réussi à dépasser la charge de chef du personnel de deuxième catégorie dans le secteur spécifique où il s’était initié pendant les années enfuies de l’indépendance comme veilleur de nuit.
L’installation prit un temps difficile à préciser, parce qu’elle continua de se faire indistinctement à toute heure du jour et de la nuit, pendant de longs mois. Personne n’entrait dans le bâtiment sans porter dans les mains, sur le dos ou en un équilibre miraculeux sur la tête une caisse, un paquet, un panier, un sac, un emballage, un pot, une boite en fer-blanc, etc., en même temps que de mystérieux et apparemment inutiles accessoires, qui allaient immédiatement enrichir les divers logements, avant même que ceux-ci ne fussent débarrassés de tous les résidus et les débris des passages antérieurs de tribus équivalentes d’humanoïdes. De toute façon, et pour augmenter la confusion, personne ne sortait du bâtiment sans porter des pierres, des briques, des tuiles ou des azulejos cassés ou encore des morceaux de verres, de fer ou de bois, des mottes de sables et des plâtras, des papiers froissés, des hardes crasseuses et Dieu sait quoi d’autre. Leur destin se terminait tout près de là. Tous ces objets étaient seulement transférés sur une jolie pelouse inexplicablement verte, sous deux palmiers s’ouvrant en discret éventail, à deux pas de trois conteneurs métalliques qui n’avaient pas d’usage digne de leur nom.

L’espace distribué et les aires d’occupation commune plus ou moins définies, la construction prit une vie nouvelle, ce qui en l’occurrence ne signifia qu’une dégradation encore plus accentuée que la précédente. Le libre accès aux entrées contribua beaucoup à cet effet, car il la transforma en séjour obligatoire et quasi permanent d’une faune noctambule, qui incluait, entre autres spécimens à l’origine et aux occupations douteuses, de supposées petites filles aux longues tresses et en chaussettes blanches et des passeurs de drogue de poids et d’impact variés, plus leurs clients respectifs, et encore les représentants de l’autorité spécialement détachés pour les discipliner et les réprimer. Tous ces gens passaient la nuit ensemble jusqu’à l’aube avec de vrais petits enfants qui jouaient joyeusement à des jeux de leur âge, des bébés qui pleuraient, des couples qui s’enivraient d’amour au son assourdissant de musiques d’importation et un ou deux candidats à la mort qui se convulsaient de fièvre des paluds ou se vidaient en déjections ou en crachats sanguinolents. La copropriété était, par conséquent, parfaitement rôdée et huilée jusque dans les plus indéchiffrables de ses axes. Le problème, avec le temps, fut que les gens commencèrent à être en excédent dans une proportion toujours plus inégale et dangereuse pour les matériaux solides de la construction déjà assez précaire en soi. De là à remplacer ces matériaux, il n’y eut qu’un pas : soutenir ici et là les parties du toit qui s’écroulaient, s’allonger pour permettre la traversée d’un sol à moitié ouvert, renforcer une voûte de porte, occulter de larges ouvertures à la curiosité des passants et arriver même à assurer la permanence de murs totalement disparus. Pour faux que cela sonne ou paradoxal qu’il y paraisse, la construction s’humanisait à mesure qu’elle disparaissait, se transformant en un être vivant avec des nerfs véritables qui remplaçaient les systèmes électriques inopérants, du sang réel qui circulait dans l’espace d’anciennes canalisations incapables de fournir l’approvisionnement normal en eau et une solide structure de squelettes qui remplaçaient avantageusement les poutres, les ferrures et les colonnes rongées par le termite, la rouille ou le salpêtre…
Et ce ne fut pas, par conséquent, sans une petite pointe d’émotion que le grand responsable de la ville finit par conférer le statut de monument national à cette construction exclusivement faite de gens dans le vide intégral, sans piliers, ni pierres, ni fers, ni rien qui fût inorganique pour soutenir leurs téméraires acrobaties.

José Mena Abrantes (Angola), Caminhos des-encantados, Caminho 2000

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2 commentaires »

  1. joulik dit :

    je suis heureuse que tu as trouvé alexandre pouchkine super dans la poésie russe je ne te dis pas c’est le pied mais tu sais la traduction littéraire n’est pas tout a fais m’enfin c’est boooo merci tu verras il y auras d’autres a toi tam tam

  2. lusina dit :

    Joulik, traduire Pouchkine, ce n’est pas rien ! Tu l’as fait d’une façon très touchante. J’attends les autres, à bientôt.

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