la canneraie
Zambèze
Les cannes sont très hautes et le vent y siffle d’étranges mélodies, incessantes et désolées. D’après certains, ce bruit est un son très ancien, la plainte de ceux qui sont morts et dont les âmes sont restées ici à se lamenter. Cette terre des Ansengas était très active et l’ivoire qui en sortait alimentait tout le cordon de villes qui descendaient en aval du fleuve : Cachombo, Tete, Sena, et la dernière de toutes, Quelimane, où l’on respirait l’air de la mer. Ici, où le commerce se faisait entre gens de tous les environs, le nom des Ansengas était très respecté parce qu’ils tiraient de là le meilleur produit. A cause de la cupidité d’individus dévoyés les malheurs avaient commencé ici même, à l’endroit que les anciens appelaient Mazombwe, où de chaque mort mal enterré était née une canne toute droite, et de là cette canneraie. Araújo Lobo, le Matakenya, et beaucoup d’autres, étaient arrivés, et lorsque l’ivoire avait été épuisé ils avaient continué à chasser par inertie, et parce que les animaux à tuer de leurs mains manquaient, ils se mirent à tuer les hommes. Mais on ne pouvait comparer les dents humaines à la corne du rhinocéros ou à la défense d’éléphant, et les chasseurs sans foi ni loi avaient poursuivi leur massacre, et ceux qu’ils ne massacraient pas ils les emmenaient on ne sait où, par colère et par vengeance. Ainsi le Mazombwe se changea en un désert de gens vivants et en une concentration d’âmes en peine. Chacune, chaque canne, et toutes les cannes droites, qui se lamentent et qui tremblent sous la caresse du vent. C’est ça, la canneraie.