Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour mars, 2007

l’antiquaire

Posté : 31 mars, 2007 @ 9:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Antonello da Messine, St Jérome en son étude (National Gallery, Londres)

Au milieu de l’atelier de restauration, où se trouve un établi, est assis l’antiquaire qui est le maître de ce monde, le seigneur. L’antiquaire – imaginez-le comme vous voulez, de lui je dirai simplement qu’il est vieux – dirige ses mains vers un objet. Il en étudie les dommages, en regarde les proportions, il en apprend lentement, mais toujours avec une sûreté étudiée, les chances qu’il a de le restaurer. L’antiquaire le sait : chaque pièce est un monde en soi, pas seulement une marque de ce monde, pas un simple témoignage ; chaque pièce est un tout en soi, qui raconte une histoire, qui narre un récit, qui fait le portrait de qui l’a touchée, de qui l’a fabriquée, de qui l’a tenue dans ses mains autrefois. L’antiquaire sait que tout objet possède quelque chose qui peut être raconté, que c’est un tout en soi et une part fidèle d’un tout déjà révolu, un témoin d’histoires que nous ignorons, mais que nous pouvons, avec de la foi, imaginer. C’est pourquoi son travail est de donner la vie, de mettre devant nous des contes d’autres époques, où les pièces une à une se disposent, comme des corps qui ressuscitent dans un portrait. C’est pourquoi je vous le dis, cette dernière salle, cet atelier, est l’âme de cette boutique qui commence à une porte entrouverte qui donne sur une place, et qui s’étend de la place vers d’autres rues, où courent des gens et des bruits et des silences, des rues et des gens qui, dans ce cas, ne sont pas convoqués ici. Pour l’antiquaire qui est assis dans son atelier, et pour nous qui sommes solidaires, le monde finit là-dehors, le monde est autre, le monde est étrange, car ici le monde a d’autres noms et les souvenirs en seront, par conséquent, différents. Et à ses pieds, le chat qui roulé en boule, sommeille, est une preuve de plus de la sérénité immobile qui semble régner dans cette pièce. Sur les murs de cette salle de restauration, il n’est rien qui pour moi vaille la peine d’être mentionné. Les murs sont bien plus nus que les autres, plus nets de tous les souvenirs que les autres parois supportent car seul un tableau bien exposé domine la pièce, en face de la chaise où l’antiquaire s’assied pour travailler.

Et ce tableau – sûrement une reproduction, car l’original est à Londres – est d’un certain Antonello de Messine, et il est connu par les amateurs (en vérité on ne sait pas bien son nom, car il ne semble pas certain qu’Antonello lui ait donné un nom) comme étant « Saint Jérôme en son étude ».

Sérgio Luís de Carvalho, Retrato de S. Jerónimo no seu estúdio, Campo das letras, 2006

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L’économe

Posté : 29 mars, 2007 @ 8:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 1 commentaire »

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(d’après un bas-relief de la Villa Albani,
dessiné dans le t. II des Monuments inédits de Winckelmann)

Chaque nouveau matin clair il vivait un peu moins, rempli d’angoisses, réduisant les dépenses. Ses amis lui rappelaient l’histoire du chien de l’Anglais, qui était mort de faim quelques jours après avoir enfin appris à ne plus rien manger du tout. C’était une plaisanterie, bien sûr, juste pour voir s’il se décidait à ne plus prendre les chose tant au sérieux, à ne pas exagérer autant dans ses économies quotidiennes. Mais lui, préoccupé par le gaspillage, éliminait encore un produit ou une habitude, condamnait comme superflu un besoin de plus. Il avait maigri à vue d’œil, avec cette vie rétrécie, mais à mesure que ses chairs fondaient les arguments pour la défense de ses choix prenaient le dessus. Il commençait à invoquer des exemples historiques de gens ayant subsisté dans le dénuement : un certain Diogène qui vivait dans un tonneau et qui n’aimait pas qu’on lui cache la lumière du soleil, les Spartiates, saint François d’Assises, etc.
[...]
Il arriva finalement un moment où il ne faisait plus que tirer de tout les conclusions qui puissent servir ses propos réductionnistes, réduisant ainsi de plus en plus ses désirs. Par exemple : la lecture d’un article pseudo-scientifique sur les dommages causés par les fumeurs aux non-fumeurs le conduisit, lui qui avait ce vice depuis longtemps, à se spécialiser dans la consommation passive de tabac, s’entraînant à de profondes inhalations pour capter à distance les exhalations des cigarettes, à la sortie des bouches et des nez des autres. Son ancien penchant pour l’alcool, d’autre part, se satisfaisait à présent de l’odeur des canettes de bière vides, éparpillées sur tous les trottoirs, à tous les coins de rue de la ville. Et même en ce qui concernait les aliments solides, les derniers temps il se contentait du fumet intense des grillades et des barbecues, qui empestaient d’odeurs de graisse les marchés, les bars et les jardins. Il subsistait, donc, aux crochets du vent, dans la pleine matérialisation de l’expression « être maître de son nez ».

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Les moissonneurs

Posté : 26 mars, 2007 @ 8:58 dans - XIXème siècle, littérature et culture | 2 commentaires »

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Azulejos à Santarém, Av. José Saramago (photo CL)

Dix, onze heures… le thermomètre est monté à 48 puis à 5O °, et le crissement des cigales, présage de l’heure terrible de midi, au début clairsemé, se multiplie à présent en un unisson de millions de cris éraillés… Ces bruits forment un claquement aigu à travers la campagne, semblable non à des voix d’insectes, mais à une supplique générale de la terre dévorée par le soleil féroce. Ils viennent de tous les points de l’horizon et s’ajoutent en chemin à ceux qu’ils rencontrent, enflent dans l’air, trépident, deviennent cent fois plus furieux et résonnants, vont, viennent, ondulent, se généralisent, assourdissants, constants, hallucinants, tantôt comme des pleurs, tantôt comme des flatteries, ou comme des coups de fouets ; et chaque fois que le soleil ouvre la gueule pour éteindre la vie et recroqueviller les feuilles des arbres, ce flux maudit provoque avec sa pulsation de folie le délire du cerveau, la fièvre du pouls et le halètement désespéré de la poitrine en quête d’air.
Dès ce moment, la vie physiologique normale du moissonneur devient impossible, et se change en une torture d’où, à force d’obstination, la résistance vitale produit, en plein travail, des hallucinations des sens et des syncopes. Sous la flamme directe et intolérable du soleil, l’ombre s’est perdue, mais la chaleur ne vient pas que du soleil, concentrée, suffocante, en braise vive : elle irradie de toute chose, aveugle, éblouit, s’exhale de tout, comme si en tout se trouvait un feu direct, incandescent. Toucher un outil de métal, une pierre, une racine, une tige, c’est pousser un cri de douleur à l’horrible brûlure provoquée par le contact.

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monogamie

Posté : 24 mars, 2007 @ 7:25 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

imbundeiro

Imbondeiro, baobab typique de l’Angola, originaire de la forêt du Mayombe

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Des jambes d’imbondeiro, des jambes d’imbondeiro. En vérité (je me rappelle), j’ai vu d’abord ton sourire gloutonnement beau, immense comme un énorme soleil incitant au péché, allégresse impudique, et, pourtant, ingénue, pur désir, illuminé par la fraîcheur humide de ta bouche vermeille rehaussée par tes dents, d’où jaillissait, comme une violente explosion, un rire de gorge libidineux ; cependant, ce que, avant tout, mes mains se sont vues obligées de toucher, mues par une impulsion soit magique, soit atavique, je ne sais pas, ce sont tes jambes : lisses comme un rêve, mais compactes (ce qui m’a causé une angoissante sensation d’abondance). Encore des souvenirs : comme si j’étais un dieu, j’ai enfilé mes mains sous ta robe, j’ai caressé de façon prolongée tes cuisses épaisses et fortes, je les ai palpées, je les ai pincées, jusqu’à en perdre la notion du temps ; l’émotion avec laquelle, dans des occasions postérieures, je t’ai appelée ma petite pute ou ma petite vache, m’a fait murmurer : des jambes d’imbondeiro, des jambes d’imbondeiro (triomphante, tu as souri, avant d’ouvrir complètement les jambes, pour faciliter l’opération ; je sentais mes mains qui plongeaient, étonnées, dans tes racines). Deux ans après, nous étions mariés.
[...]

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Promenade

Posté : 21 mars, 2007 @ 6:06 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Images d’Angola

… au lieu du corps de Miguel (« Un amant à ta disposition », comme il disait souvent autrefois), rien que le vide et un tremblement inexplicable dans les draps, comme un avertissement.
Lorsqu’elle s’était réveillée pour s’apercevoir que, finalement, ce n’était pas un cauchemar, Umbelina, médecin pédiatre fraîchement rentrée de Cuba, avait décidé : « Je vais suivre le conseil de tante Francisca. »
Laquelle lui avait dit un jour, après avoir entendu les plaintes de sa nièce unique au sujet du comportement de son mari (« Il continue à voir Tina… qu’est-ce que je vais faire ? ») : « Je te l’ai déjà dit plusieurs fois : allons chez le quimbanda… » J’en connais un en qui on peut avoir confiance, ce n’est pas un de ces charlatans qu’on voit maintenant, il ne veut pas d’argent, juste une poule, ou un carafon de vin…. Allons-y, Umbelina ! »
Umbelina n’avait pas voulu. « Ma tante, voyons ! », avait-elle dit en riant. « Il faut dépasser ces idées de sorcellerie, de quimbandas… Ce sont des idées anciennes, ma tante ! La révolution… » (La vieille avait émis un sifflement de mépris, telle un serpent qui crache, pour couper court au sermon qu’Umbelina avait entamé. « Bon », avait pensé la nièce, « ce n’est pas la peine d’insister : à son âge, comment pourrait-elle changer d’avis ? Ce qui importe c’est qu’elle me comprenne, qu’elle veuille m’aider… »)

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Portugal, tour d’horizon

Posté : 20 mars, 2007 @ 11:39 dans vidéos documentaires | 2 commentaires »

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Clichés… mais aussi pas mal de vérité, des clins d’oeils, on sourit souvent. Et les pasteis de nata font saliver. La recette se trouve sur le blog « Regards sur le Portugal » (en lien)

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Lagos, passé et présent

Posté : 20 mars, 2007 @ 9:57 dans musique et chansons, vidéos documentaires | 3 commentaires »

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Dulce Pontes chante Mar português, poème de Fernando Pessoa, et la Chanson de la mer

En face du fort, le « marché aux esclaves », qui était en fait le bâtiment où on enregistrait ses « achats » et où on payait ses taxes :

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On voit passer D. Sebastião, statue de João Cutileiro, et dans le port, à la fin du film, la caravelle Boa Esperança, réplique des caravelles à deux mâts qui ont emmené les navigateurs vers le nouveau monde.

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l’attaque

Posté : 17 mars, 2007 @ 8:48 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Il fait encore sombre et il n’y a aucune raison pour une vigilance particulière. Zumbo dort, de même que tous les villages, hameaux et cases éparses qui se trouvent aux alentours. Il n’y a pas de meilleur signal que les aboiements des chiens, les piaillements des oiseaux et les cris des gens (nous avons vu auparavant comment ces mêmes cris avaient prévenu de l’arrivée de Leónidas, en pirogue, les bras et les jambes formant une croix, longtemps avant son arrivée effective à l’embarcadère). Mais aujourd’hui les chiens sont enroulés sur eux-mêmes, près de la cendre des feux, gênés par le froid qui s’obstine à revenir la nuit bien qu’on soit en octobre. Les oiseaux aussi sont muets, ainsi que les hommes et les femmes, les enfants et les vieillards.
Et c’est exactement à cette frontière, quand la nuit s’évanouit et que le jour prend des forces, que fait irruption et s’abat, terrible, le m’fiti.

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