l’attaque
Il fait encore sombre et il n’y a aucune raison pour une vigilance particulière. Zumbo dort, de même que tous les villages, hameaux et cases éparses qui se trouvent aux alentours. Il n’y a pas de meilleur signal que les aboiements des chiens, les piaillements des oiseaux et les cris des gens (nous avons vu auparavant comment ces mêmes cris avaient prévenu de l’arrivée de Leónidas, en pirogue, les bras et les jambes formant une croix, longtemps avant son arrivée effective à l’embarcadère). Mais aujourd’hui les chiens sont enroulés sur eux-mêmes, près de la cendre des feux, gênés par le froid qui s’obstine à revenir la nuit bien qu’on soit en octobre. Les oiseaux aussi sont muets, ainsi que les hommes et les femmes, les enfants et les vieillards.
Et c’est exactement à cette frontière, quand la nuit s’évanouit et que le jour prend des forces, que fait irruption et s’abat, terrible, le m’fiti.
Au début personne n’a entendu ce vacarme qu’aujourd’hui on sait avoir commencé du côté de Russiko, où le bataillon 450 avait détaché vingt et quelques hommes insouciants, dont certains n’avaient pas eu le temps d’être surpris. Ils n’étaient passés de vie à trépas que de l’extérieur, parce qu’à l’intérieur ils avaient continué à dormir comme avant. Les autres y auraient échappé, plus lestes que les précédents, mais il est difficile de confirmer la nouvelle à cause de la confusion qui avait suivi (auraient-ils changé de camp ? Seraient-ils partis pour des régions moins agitées, fatigués de cette incertitude ?) . Comme une coulée de lave en feu qui descend la pente, une grande troupe d’hommes enragés avait alors inondé la rue principale et s’étaient éparpillés par les chemins qui y mènent.
Qui pouvait être cette bande sanguinaire ? Les hommes de Dombo Dombo, venu de Goa en 1750 en quête d’or et que les chaleurs du climat avaient rendu fou, le transformant en un oiseau de rapine cruel et sanguinaire ? Les hommes de Choutama, petit-fils du précédent, que les Portugais avaient soutenu en lui concédant les honneurs militaires mais qui, mauvais payeur, s’était retourné contre eux, enragé par sa haine de Gamitto et par la voracité avec laquelle il cherchait l’ivoire et les esclaves pour se gorger de pouvoir ? Les hommes de Chissaka, fils du précédent, qui avait rasé Massangano pour venger la mort de son père et s’amuser à peindre en rouge sang les paillotes en chemin et à planter sur des piques les têtes décapitées des victimes perplexes pour signaler son passage (« Chissaka est passé ici et vous a laissé ces signes pour que vous sachiez ce qui vous attend et ce qui attend vos enfants et vos petits-enfants, si vous avez le temps d’en avoir, maudits ! ») ? Duquel de ces Caetano Pereira ces immondes bêtes féroces qui veulent nous tourmenter se réclament-elles ? Ou bien ne seraient-ils pas serviteurs de cette famille cruelle, mais plutôt de Vicente José Ribeiro, le Chimbango, hyène teigneuse et assassine qui avait trahi Undi, et qui, capable des actes les plus effroyables pour une poignée de défenses d’ivoire, voudrait maintenant trahir le peuple Ansengas tout entier ?
Le peuple fouille dans les compartiments du temps à la recherche d’une réponse à cette ignominie, mais sa mémoire est paralysée par l’épouvante et les explications se confondent les unes avec les autres, amalgamées par toute cette violence et par l’urgence de trouver des réponses.
João Paulo Borges Coelho (Mozambique), As duas sombras do Rio, Caminho, 2003
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