Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Promenade

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 21 mars, 2007 @ 18:06

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… au lieu du corps de Miguel (« Un amant à ta disposition », comme il disait souvent autrefois), rien que le vide et un tremblement inexplicable dans les draps, comme un avertissement.
Lorsqu’elle s’était réveillée pour s’apercevoir que, finalement, ce n’était pas un cauchemar, Umbelina, médecin pédiatre fraîchement rentrée de Cuba, avait décidé : « Je vais suivre le conseil de tante Francisca. »
Laquelle lui avait dit un jour, après avoir entendu les plaintes de sa nièce unique au sujet du comportement de son mari (« Il continue à voir Tina… qu’est-ce que je vais faire ? ») : « Je te l’ai déjà dit plusieurs fois : allons chez le quimbanda… » J’en connais un en qui on peut avoir confiance, ce n’est pas un de ces charlatans qu’on voit maintenant, il ne veut pas d’argent, juste une poule, ou un carafon de vin…. Allons-y, Umbelina ! »
Umbelina n’avait pas voulu. « Ma tante, voyons ! », avait-elle dit en riant. « Il faut dépasser ces idées de sorcellerie, de quimbandas… Ce sont des idées anciennes, ma tante ! La révolution… » (La vieille avait émis un sifflement de mépris, telle un serpent qui crache, pour couper court au sermon qu’Umbelina avait entamé. « Bon », avait pensé la nièce, « ce n’est pas la peine d’insister : à son âge, comment pourrait-elle changer d’avis ? Ce qui importe c’est qu’elle me comprenne, qu’elle veuille m’aider… »)

Ce matin-là, pourtant, Umbelina n’était pas allée directement à l’hôpital. Elle était montée dans sa fusquinha, (Miguel : « cette saloperie de voiture est ta plus-value révolutionnaire ! », une allusion au fait que le gouvernement vendait des voitures aux cadres supérieurs) et s’était dirigée vers le Quartier Ouvrier, où habitait la tante Francisca. C’était une journée limpide et aérée, on avait l’impression que le bleu suave du ciel, presque transparent, illuminait tout ce qui vivait ou bougeait là en bas, les gens, les maisons, les voitures qui roulaient vite, évitant les trous, et, si les hommes avaient voulu, ils auraient pu palper la brise qui agitait les arbres de la ville. Mais Umbelina, encore bouleversée que son mari n’ait pas dormi à la maison, remarqua à peine les vols d’oiseaux aveugles qui allaient vers on ne sait où, quand elle tourna à gauche après Anangola pour entrer dans le Quartier Ouvrier. « Il se pourrait qu’il pleuve aujourd’hui… », murmura-t-elle.
La tante Francisca l’attendait. Elle était dehors, de bon matin, en train de boire son café allongé habituel dans sa timbale émaillée tout en mangeant de petits morceaux de manioc frit (« Tu n’as plus jamais apporté de pain, ma nièce… »), chose qu’elle faisait, normalement, à l’intérieur (Umbelina : « On dirait que quelqu’un vous a raconté mon cauchemar… »). Lorsque sa nièce eut fini d’annoncer que, finalement, elle était d’accord avec sa proposition, elle se contenta de répondre : « Nous y allons dès ce soir, à sept heures. Mã Fifas est déjà au courant… »
[...]
Umbelina n’avait pas déjeuné chez elle. Elle était allée chez Domingas, une vieille amie d’enfance, qu’elle n’avait pas vue depuis qu’elle était partie faire ses études à Cuba. Domingas s’était étonnée de l’apparition de son amie, mais n’avait pas posé de questions (« Toujours discrète, Minguita… C’est pour ça que je l’aime… ») Après le repas : une promenade dans l’Ile (pour se détendre), Corimba, Futungo (Ce paysage est un des plus beaux du monde, bon sang !).
Elle avait toujours aimé la mer. Cette mer, donc, vaste, tranquille, tantôt vert bouteille tantôt d’un bleu doré et lumineux, la satisfaisait pleinement. C’était ça, principalement, qui lui manquait quand elle était à Cuba (« Je n’ai pas vu de plage qui ressemble à celles de Luanda… ! ») Elle roule lentement, Umbelina, elle ne dépasse pas le cinquante à l’heure. Elle décide d’aller jusqu’au Mirador de la Lune.

João Melo (Angola) Imitação de Sartre e Simone de Beauvoir, Caminho, 2000

[1] Surnom ‘’affectueux », dérivé de la couleur sombre de la voiture.

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