Les moissonneurs
Azulejos à Santarém, Av. José Saramago (photo CL)
Dix, onze heures… le thermomètre est monté à 48 puis à 5O °, et le crissement des cigales, présage de l’heure terrible de midi, au début clairsemé, se multiplie à présent en un unisson de millions de cris éraillés… Ces bruits forment un claquement aigu à travers la campagne, semblable non à des voix d’insectes, mais à une supplique générale de la terre dévorée par le soleil féroce. Ils viennent de tous les points de l’horizon et s’ajoutent en chemin à ceux qu’ils rencontrent, enflent dans l’air, trépident, deviennent cent fois plus furieux et résonnants, vont, viennent, ondulent, se généralisent, assourdissants, constants, hallucinants, tantôt comme des pleurs, tantôt comme des flatteries, ou comme des coups de fouets ; et chaque fois que le soleil ouvre la gueule pour éteindre la vie et recroqueviller les feuilles des arbres, ce flux maudit provoque avec sa pulsation de folie le délire du cerveau, la fièvre du pouls et le halètement désespéré de la poitrine en quête d’air.
Dès ce moment, la vie physiologique normale du moissonneur devient impossible, et se change en une torture d’où, à force d’obstination, la résistance vitale produit, en plein travail, des hallucinations des sens et des syncopes. Sous la flamme directe et intolérable du soleil, l’ombre s’est perdue, mais la chaleur ne vient pas que du soleil, concentrée, suffocante, en braise vive : elle irradie de toute chose, aveugle, éblouit, s’exhale de tout, comme si en tout se trouvait un feu direct, incandescent. Toucher un outil de métal, une pierre, une racine, une tige, c’est pousser un cri de douleur à l’horrible brûlure provoquée par le contact.