l’antiquaire
Antonello da Messine, St Jérome en son étude (National Gallery, Londres)
Au milieu de l’atelier de restauration, où se trouve un établi, est assis l’antiquaire qui est le maître de ce monde, le seigneur. L’antiquaire – imaginez-le comme vous voulez, de lui je dirai simplement qu’il est vieux – dirige ses mains vers un objet. Il en étudie les dommages, en regarde les proportions, il en apprend lentement, mais toujours avec une sûreté étudiée, les chances qu’il a de le restaurer. L’antiquaire le sait : chaque pièce est un monde en soi, pas seulement une marque de ce monde, pas un simple témoignage ; chaque pièce est un tout en soi, qui raconte une histoire, qui narre un récit, qui fait le portrait de qui l’a touchée, de qui l’a fabriquée, de qui l’a tenue dans ses mains autrefois. L’antiquaire sait que tout objet possède quelque chose qui peut être raconté, que c’est un tout en soi et une part fidèle d’un tout déjà révolu, un témoin d’histoires que nous ignorons, mais que nous pouvons, avec de la foi, imaginer. C’est pourquoi son travail est de donner la vie, de mettre devant nous des contes d’autres époques, où les pièces une à une se disposent, comme des corps qui ressuscitent dans un portrait. C’est pourquoi je vous le dis, cette dernière salle, cet atelier, est l’âme de cette boutique qui commence à une porte entrouverte qui donne sur une place, et qui s’étend de la place vers d’autres rues, où courent des gens et des bruits et des silences, des rues et des gens qui, dans ce cas, ne sont pas convoqués ici. Pour l’antiquaire qui est assis dans son atelier, et pour nous qui sommes solidaires, le monde finit là-dehors, le monde est autre, le monde est étrange, car ici le monde a d’autres noms et les souvenirs en seront, par conséquent, différents. Et à ses pieds, le chat qui roulé en boule, sommeille, est une preuve de plus de la sérénité immobile qui semble régner dans cette pièce. Sur les murs de cette salle de restauration, il n’est rien qui pour moi vaille la peine d’être mentionné. Les murs sont bien plus nus que les autres, plus nets de tous les souvenirs que les autres parois supportent car seul un tableau bien exposé domine la pièce, en face de la chaise où l’antiquaire s’assied pour travailler.
Et ce tableau – sûrement une reproduction, car l’original est à Londres – est d’un certain Antonello de Messine, et il est connu par les amateurs (en vérité on ne sait pas bien son nom, car il ne semble pas certain qu’Antonello lui ait donné un nom) comme étant « Saint Jérôme en son étude ».
Sérgio Luís de Carvalho, Retrato de S. Jerónimo no seu estúdio, Campo das letras, 2006