èlègbara
Les anciens racontent que le grand Orisha fils le don d’un fils à Orunmilá, le prophète.
Alors, quand Orunmilá posa sa main sur Eshou, le Grand Orisha annonça que l’enfant serait èlègbara – détenteur du pouvoir.
Depuis l’arrivée, huit générations auparavant, de Oranmiyan le fondateur, Oió n’avait connu que l’opulence. D’où l’angoisse du peuple tout entier quand le roi cessa de paraître sur les marchés, et l’accablement qui s’ensuivit lorsque commença à se répandre la nouvelle de la maladie qui certainement le conduirait à la mort.
Le roi ne mourut pas; mais il ne se rétablit pas non plus. La maladie était devenue stationnaire, permanente, stagnante comme les eaux qui se trouvent au-delà de Ijebou-Odé. C’est à ce moment que Oió, la juste, la généreuse, périclita vertigineusement. Le sceptre du roi ne faisait plus se mouvoir l’univers.
Et les labours n’étaient plus fertiles; les femmes n’accouchaient plus; les forgerons ne forgeaient plus; les négociants ne négociaient plus; les acheteurs n’achetaient plus. La sécheresse sévit et la famine régna.
Alors les anciens réunis en conseil décidèrent de convoquer les sages des autres royaumes. Il en vint de Ifé, il en vint de Irê, il en vint de Ilorin, il en vint de Quêtou. La science humaine est toujours en deçà de l’homme lui-même : le roi était toujours malade.
Oió était sur le point de succomber au désespoir quand soudain apparut, venu – disait-on – du pays noupé, un étrange voyageur au sourire narquois.
Il portait une musette et un sabre, fumait la pipe et portait un bonnet noir et rouge.
Il s’arrêta juste en face du marché où se tenait une assemblée. Il fut remarqué par l’un des anciens.
- Le royaume est mort. Les étrangers ne sont pas les bienvenus.
- Vieillard, telle n’est pas la réputation de Oió, la juste. Et je suis venu pour la justice.
- Qui es-tu et d’où viens-tu ?
- Je ne sais pas qui j’ai été, ni où j’ai été, mais je sais que là où j’ai été, je fus.
- Que désires-tu, ô marcheur ?- Je n’ai d’autre désir que d’être désiré. N’est-ce pas votre roi qui est atteint d’un mal incurable ?
- Son mal est incurable; il n’y a pas eu de sage capable de le vaincre. Il n’y a plus rien qui puisse être fait en Oió.
Le voyageur éclata alors de rire :
- Telle n’est pas, ô vieillard, la réputation de Oió, la généreuse. Et je suis venu pour sa grandeur.
Le peuple, interdit, écoutait. Et l’étranger continua :
- Je suis un vieux voyageur. J’ai marché des lieues et des lieues. J’ai la taille de la Terre et j’ai l’âge du monde. Il n’existe pas de nombre pour compter les prouesses que j’ai accomplies depuis que j’ai pris la route : j’ai récolté du miel de sauterelle, j’ai tété du lait de filles impubères, je me suis chauffé sans feu, j’ai cuisiné sans ustensile, j’ai fait accoucher de vieilles femmes, j’ai engrossé des nouvelles-nées; j’apporte les remèdes aux maladies et les réponses aux questions. Quand j’ai appris le mal dont souffre votre roi, je suis venu pour offrir mes services. Mais toute chose a un prix.
- Oió est juste et généreuse : le voyageur sera payé le prix qu’il demandera.
- Je veux le prix juste.
- Et quel est ce prix ?
- Celui qui a la plus grande valeur et qui tient dans la plus petite mesure.
Personne ne comprit. Personne ne prêta attention.
Alberto Mussa, èlègbara (Revan, 1997, nouvelle édition: Record, 2005)
Traduction de Stéphane Chao
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