Ensorcelé
Déjà jeune homme, Serafim se tordit le pied. Et il alla frapper à sa porte. Une fois de plus, troublée, la femme voulut se débarrasser de lui et commença à marmonner une excuse. Mais, en le voyant boiter, elle le fit entrer, saisit la pelote de laine et l’aiguille et, sans jamais le regarder en face, se mit à réciter la prière de « nerf tordu, chair déchirée, retourne là où tu es né », tout en cousant la pelote avec l’aiguille sans fil. Les yeux toujours baissés, comme si elle avait honte. Lui la regardait bien en face, la baignant dans la clarté liquide de son regard, déversant sur elle la lumière de ses yeux. Et, par moments, il avait l’impression qu’elle lui essuyait les pieds avec ses cheveux.
Il n’y eut pas besoin de neuf jours pour qu’il soit guéri : curieusement, en sortant de chez Virgolina, Serafim faisait des bonds, sans douleur, riait et chantait.
A l’occasion d’une fête des Stations du Chemin de Croix, Virgolina alla en ville et revint toute seule à la maison, sans homme ni âne.
Ti Januário était resté à la taverne et elle lui avait laissé la bête, qui connaissait le chemin par cœur, pour qu’elle le ramène. Deux ou trois maisons avant la Combe habitait Manel da Cerca, qui était veuf depuis un an. Il avait acheté à la foire un porcelet qu’il rapportait attaché par une corde à la patte. En chemin il rencontra Virgolina qui descendait aussi la pente. L’animal était rusé, il allait vite, et l’homme courait presque après lui. Virgolina dut presser le pas pour l’accompagner. Mais, un peu plus bas, haletante, elle lui saisit le bras, en disant
- vous ne dites rien, mais je sais très bien ce que vous pensez – vous êtes en train d’étudier la manière dont vous allez vous y prendre pour coucher avec moi…
- Oh créature, avec ce porcelet que je tiens par la bride, comment je pourrais faire ?
- Bon, bon, ne me racontez pas d’histoires, je ne suis pas idiote – si vous voulez coucher avec moi, vous attachez le cochon à un chêne-liège… et voilà.
Ils ne se revirent plus. Mais après ça, Manel da Cerca ne fut jamais plus le même, on aurait dit que son désir de femme était naturellement comblé. Et encore aujourd’hui, lorsque quelqu’un passe par là, il est intrigué par le souffle tiède qui se dégage de la terre et l’étrange parfum de fleurs et d’épis qui rode dans l’air.
António da Silva Carriço, Entre o corpo e a rosa, Colibri, 2002