La machine
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Plusieurs accidents étaient déjà arrivés à des collègues de travail. L’un d’eux mortel. Une terrible malchance, tous le reconnaissaient, un ensemble de probabilités rares qui s’étaient mêlées ; mais cet improbable cessa de l’être et plusieurs années après il était inscrit comme un fait : une mort provoquée par la machine sur laquelle travaillait Joseph Walser.
Elle exigeait de lui, donc, une attention permanente. Une attention exacte, disait Klober, en accentuant le caractère bizarre du lien entre un mot vaste et peu compréhensible, comme l’attention, et un mot ferme et parfaitement sans ambiguïté, comme l’exactitude. Une attention exacte, c’était ce qui était nécessaire à qui travaillait sur cette machine. L’attention comme qualité émotionnelle, qualité peu corporelle, peu manuelle, dirait Klober, jointe au mot objectif : exactitude. Un mot rationnel, issu du monde scientifique.
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L’attention exacte résumait donc ce qui était nécessaire à la fonction de Joseph Walser : être un animal parfait, un animal non-animalesque, non imprévisible, un organisme sans fluctuations, un organisme qui parvenait à rester égal à lui-même, immuable, pendant tout le temps où il était devant la machine. Parce que cette machine exigeait de chacun des employés un ensemble de gestes déterminés, répétés, et de séquence constante. La moindre déviation du geste exact, au geste conséquent de l’attention exacte exigée, la moindre déviation aurait pour conséquence une perturbation de l’efficacité de la machine et donc une production plus basse, ou même une panne.
Gonçalo M. Tavares, A máquina de Joseph Walser, Caminho, 2004