Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 2 mai, 2007

Vision

Posté : 2 mai, 2007 @ 11:13 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

zambeze.jpg

Il regarda autour de lui et ne trouva pas ses affaires : il manquait son filet de pêche, le sac qui l’accompagnait toujours, enfin son vieux chapeau de paille. Rien de ce qui était à lui ne se trouvait aux alentours et, encore plus étrange, il ne voyait plus sa propre pirogue. A dire vrai, cette dernière énigme ne se posa en tant que telle que graduellement, à mesure qu’il faisait le tour de la petite île où il se trouvait, au milieu du fleuve, et que la pirogue n’était toujours pas là.

Il pensa à demander de l’aide mais on n’apercevait âme qui vive. Il retourna à son point de départ. Regarda autour de lui. Au milieu du fleuve, le rameur semblait à présent avancer dans la direction opposée. A l’horizontale (car à présent Ntsato était bien debout), mais sans la même conviction, ne laissant plus sur l’eau un sillon droit mais de grands S ondulants, comme s’il voulait d’abord s’approcher d’une berge, puis de l’autre. Une almadie indécise.

Peut-être parce que le soleil se trouvait à son zénith, ou pour une autre raison inexplicable, tout se mit à briller comme si les particules de l’air explosaient en petits soleils jaunes. Ntsato se frotta plusieurs fois les yeux avec les mains, cherchant à s’habituer à cet éclat vif qui le gênait et le troublait. Un peu plus loin, sur le fleuve, le sillage laissé par la barque était maintenant un gigantesque serpent luisant et silencieux qui se tordait à fleur d’eau. Un serpent dont, comme un seul corps, la barque et le rameur constituaient la tête. Le grand serpent de M’bona, l’origine du monde et de toutes les choses. Un serpent porteur de présages. Ntsato s’affola à cette vision bien que le serpent ne révélât pas d’intentions agressives ni même ne parût avoir remarqué sa présence. Il chercha les yeux mais il ne parvint pas à comprendre si ce qu’il voyait était bien l’éclair de son regard ou les petits reflets du soleil à la surface de l’eau.

João Paulo Borges Coelho, As duas sombras do rio, Caminho, Outras margens, 2003 (2ème édition 2004)

Revenir à la page d’accueil

analyse fréquentation web

Clandestinité

Posté : 2 mai, 2007 @ 8:38 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

lagitateurdulanguedoc.jpg

L’agitateur du Languedoc, toile de Jean-Paul Laurens,
1882, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

‘Vous autres, ceux d’entre nous qui ne sont pas des maîtres de cette Confrérie, si vous êtes interrogés par les chiens de garde de l’évêque, vous direz que vous faisiez ce que vous ordonnaient lesdits maîtres de la Confrérie, et que vous aviez peur de leur désobéir ; si on vous y obligeait, vous ne dénonceriez que les principaux d’entre nous, ceux qui se cachent. Vous renierez avec la bouche ceux qui la nuit se cacheront chez vous et que vous nourrirez à votre table. Maintenant écoutez bien : il est sûr que certains parmi ceux qui se cachent seront capturés ; il est sûr qu’ils seront mis aux fers et emmenés au siège du diocèse. Je ne sais ce qu’ils leur feront, mais à ceux-là je demande qu’ils s’efforcent d’être dignes de la mémoire de notre premier Pasteur – que Dieu le garde. Efforcez-vous, car si vous faites du mieux que vous pouvez personne ne vous en voudra de n’avoir pas réussi à résister à la captivité.’
Et voici comment les maîtres de la Confrérie ont commencé à se cacher autour de N. . Et voici comment a été lancée contre nous la persécution enragée de la mauvaise église. Et ainsi, écrit de ma main, tout est dit de ce qui correspond à la vérité, car d’autres paroles fausses seront sans doute prononcées contre nous dans l’avenir. Mais, vous qui me lisez ou m’écoutez, lisez et écoutez bien ces mots que ma main a gravés sur cette peau de parchemin. Lisez-les bien, écoutez-les bien, car ils racontent ce qui s’est vraiment passé et, en les lisant bien ou en les écoutant bien, vous saurez bien par vous-mêmes juger quelle est la vérité : celle que je dis ici, ou celle que, sans doute, d’autres diront pour nous nuire.

Sérgio Luís de Carvalho, El-Rei Pastor, Campo das Letras, 2000

Revenir à la page d’accueil
analyse fréquentation web