Vision
Il regarda autour de lui et ne trouva pas ses affaires : il manquait son filet de pêche, le sac qui l’accompagnait toujours, enfin son vieux chapeau de paille. Rien de ce qui était à lui ne se trouvait aux alentours et, encore plus étrange, il ne voyait plus sa propre pirogue. A dire vrai, cette dernière énigme ne se posa en tant que telle que graduellement, à mesure qu’il faisait le tour de la petite île où il se trouvait, au milieu du fleuve, et que la pirogue n’était toujours pas là.
Il pensa à demander de l’aide mais on n’apercevait âme qui vive. Il retourna à son point de départ. Regarda autour de lui. Au milieu du fleuve, le rameur semblait à présent avancer dans la direction opposée. A l’horizontale (car à présent Ntsato était bien debout), mais sans la même conviction, ne laissant plus sur l’eau un sillon droit mais de grands S ondulants, comme s’il voulait d’abord s’approcher d’une berge, puis de l’autre. Une almadie indécise.
Peut-être parce que le soleil se trouvait à son zénith, ou pour une autre raison inexplicable, tout se mit à briller comme si les particules de l’air explosaient en petits soleils jaunes. Ntsato se frotta plusieurs fois les yeux avec les mains, cherchant à s’habituer à cet éclat vif qui le gênait et le troublait. Un peu plus loin, sur le fleuve, le sillage laissé par la barque était maintenant un gigantesque serpent luisant et silencieux qui se tordait à fleur d’eau. Un serpent dont, comme un seul corps, la barque et le rameur constituaient la tête. Le grand serpent de M’bona, l’origine du monde et de toutes les choses. Un serpent porteur de présages. Ntsato s’affola à cette vision bien que le serpent ne révélât pas d’intentions agressives ni même ne parût avoir remarqué sa présence. Il chercha les yeux mais il ne parvint pas à comprendre si ce qu’il voyait était bien l’éclair de son regard ou les petits reflets du soleil à la surface de l’eau.
João Paulo Borges Coelho, As duas sombras do rio, Caminho, Outras margens, 2003 (2ème édition 2004)