
Les machines de guerre arrivent, mais n’ayez pas peur. Le problème, ce n’est pas les machines qui s’approchent d’ici, c’est les machines qui sont déjà là.
Les différentes générations mécaniques, votre Histoire, Walser : progressent. Tout comme nos idées. Mais les machines commencent à avoir une autonomie, les idées, non.
Les machines interfèrent déjà avec l’Histoire du pays et aussi avec notre biographie individuelle. Elles n’ont pas qu’un parcours matériel et événementiel. Elles ont aussi une Histoire de l’esprit, un chemin déjà accompli dans le monde de l’invisible, dans le monde de ce qu’on sent et qu’on pense. On pense même que les machines ont mené l’homme vers les endroits les plus proches de la Vérité.
Et ce qui peut être également réduit à un système binaire, c’est le bonheur. A un oui ou à un non, à 0 ou à 1 : il est ou il n’est pas. Et cette efficacité, mon cher, cette efficacité fondamentale, cette efficacité première, dépend aussi, en grande partie, des machines, de la vitesse à laquelle elles transforment les causes et les nécessités en effets bénéfiques. La félicité a déjà été réduite à un système que les machines comprennent, et dans lequel elles peuvent participer et intervenir. Aucun bonheur individuel n’est plus indépendant de la technologie, mon ami Walser. Si vous voulez des chiffres, nous pouvons jouer aux chiffres : le bonheur individuel d’un jour dépend, allez, à 70% de l’efficacité matérielle des machines. Que le bonheur invisible soit soumis à un bonheur concret, à un bonheur de matériaux en dialogue, de pièces métalliques qui s’emboîtent les unes dans les autres et résolvent les problèmes en accomplissant des tâches déterminées, cela peut paraître étrange : mais c’est notre siècle.
Être heureux ne dépend plus de choses que nous associons vulgairement au mot Esprit. Il dépend de matériaux concrets. Le bonheur humain est un mécanisme.
Gonçalo M. Tavares, A Máquina de Joseph Walser, Caminho, 2004
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