Souvenirs
Sainte Cécile, Peinture sur bois du Maître du retable de Saint Bartholomée.(Alte Pinakothek de Munich)
J’éteins la radio, j’apprécie le silence de Coimbra, comme les autres fois, il y a deux mois ou il y a presque un an.
Il y a deux mois, en revenant de Saint-Jacques à Lisbonne, je me suis arrêté ici, il faisait nuit. Il y a un peu plus de dix mois, en allant de Lisbonne à Saint-Jacques, je me suis aussi arrêté, mais de jour. Je suis passé par ici, il y a dix mois, pour me rendre à l’adresse que j’avais notée sur un bout de papier, dans une rue proche de l’ancienne université. Mais je me rappelle bien avoir hésité quand, il y a dix mois, à mi-chemin de mon voyage à Saint-Jacques, je cherchais la rue dont j’avais noté le nom et le vieil homme qui y habitait. Je ne l’avais plus cherché depuis longtemps, depuis longtemps je ne pensais à lui que rarement, depuis que m on vieux professeur avait quitté Lisbonne. Quelques lettres brèves lettres échangées par obligation, un ou deux coups de téléphones de pure courtoisie, et rien d’autre. Il y a dix mois j’ai donc arrêté ma voiture devant sa porte, il faisait jour, il y avait des étudiants dans des rues proches et ma mémoire qui s’obstinait à insister. A présent je m’arrête de nouveau devant sa porte, et je regarde autour de moi en quête d’un café. A cette heure il n’y a rien d’ouvert.
- Et alors, qu’est-ce qui se passe ?
Cette voix aussi, je me la rappelle bien de mon enfance, dans la pièce d’étude de mon premier professeur. Mon premier cours.
Le piano était énorme, il se tenait derrière, je le voyais à peine. C’était à Lisbonne et il pleuvait, les jours étaient gris et lourds, car les hivers de notre enfance nous paraissent toujours plus grands – comme tout le reste – et le piano me semblait immense, plus grand que le sourire de mon maître et que l’orgueil de ma grand-mère qui nous regardait.
- Tu aimes ce tableau ? Tu as raison, il est très beau. C’est Sainte Cécile, la patronne des musiciens. Un jour ce sera peut-être la tienne, avait-il dit.
Assise à côté, à quelques pas du piano, ma grand-mère avait toussé.
Je prends à présents les rues que j’ai prises il y a quelque temps, en cherchant la rue dont le nom était écrit sur un papier, lors d’une pause sur la route de Saint-Jacques. Il y avait des capes noires d’étudiants, pas comme aujourd’hui ; aujourd’hui, il n’y a que la nuit, funèbre et obscure, que les lumières de Coimbra encadrent à peine. Et j’entends bien l’écho de la roue de ma voiture, dans le gravier et les feuilles sèches de la chaussée.
- Quand est-ce que tu as commencé à étudier la musique ? m’avait demandé Iria un matin, au réveil.
- Quand j’étais petit. Je devais avoir cinq ans. L’idée d’une grand-mère un très croyante. C’était un professeur qu’elle connaissait, à Lisbonne.
- Tu l’as revu ?
Maintenant il habite Coimbra. Il a déménagé il y a quelques années. Je n’ai plus été en contact avec lui depuis qu’il a quitté Lisbonne, quelques lettres brèves, tout au plus. Mais il y a quelques semaines, en allant à Saint-Jacques, je suis allé le voir. Je voulais lui parler de cette invitation pour l’opéra. C’est peut-être la dernière fois. Il est très vieux, Iria.
Sérgio Luís de Carvalho, Os peregrinos sem fé, Campo das Letras, 2007
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