considérations
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- Ça reste entre nous, murmura Laurinda, penchant son corps frêle en avant. Non, je n’aime pas dire du mal des patronnes… Mais Madame Céleste, vous voyez, voilà-t-il pas qu’elle s’est trouvé un gamin qui pourrait être son fils, un morveux qui n’a même pas de poils sur la poitrine ?
- Qui c’est, celle-là ? demanda Vanda, sans lever le regard de la recette de lotte qu’elle allait préparer pour le dîner.
- Depuis le temps que je vous répète que Madame Céleste, c’est celle qui s’est séparée de son mari… Celle qui tient un restaurant de prêt-à-manger, je sais pas comment ça s’appelle.
- Je vois. Oh, Laurinda, passez-moi les œufs, s’il vous plaît. Et faites attention à l’heure, vous avez vu qu’il est déjà presque sept heures.
- Et alors ? Il n’y a personne qui m’attend. En sortant d’ici je vais me coller devant la télévision. C’est pas que le travail manque à la maison, ne croyez pas que j’ai rien à faire.
- Ce n’est pas pour ça, s’excusa Vanda. C’est qu’il fait bientôt nuit, acheva-t-elle, n’ayant pas le courage de lui dire qu’elle préfèrerait qu’elle soit partie quand son mari arriverait, vers sept heures et demie.
- Maintenant il commence à faire nuit plus tard, madame. C’est pas que j’aie plus peur de la nuit que du jour, non. Les malheurs peuvent arriver à toute heure, du matin, de l’après-midi ou de la nuit. Quand le Seigneur l’a décidé, voilà.
- J’adore le changement d’heure ! s’exclama Vanda. Je déteste la nuit. Si je pouvais choisir, je choisirais le jour éternel.
Elle est idiote, ma parole ! Comme si c’était possible.
- Quand Dieu a créé le monde, Madame Vanda, il a séparé la lumière des ténèbres et la lumière il l’a appelée jour, et les ténèbres, nuit. C’est dans la Bible, expliqua-t-elle. Et on le voit bien, il faut que ce soit comme ça, qu’on le veuille ou non.
- Loin de moi l’idée de critiquer ce que Dieu a fait, dit Vanda en souriant. Je sais qu’on a aussi besoin de la nuit. Je détesterais vivre dans les pays du Cercle Polaire, en Norvège, par exemple, où il fait jour ou nuit, selon l’époque de l’année, pendant presque vingt quatre heures. Vous n’avez jamais entendu parler du soleil de minuit ? Au milieu de l’été il fait soleil à minuit ! Vous imaginez ce que ça représente de confusion pour le métabolisme des habitants ? Et les enfants, les pauvres, ça doit être dur de leur faire respecter un minimum de discipline.
Ana Nobre de Gusmão, Aves do Paraíso, Asa, 1997
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