Une immigrée
Au début, ç’avait été difficile pour elle, descendante de djintons, de gens importants, de partager le plancher avec les murrus, des hommes en vêtement traditionnel ou en lopé, en pagne. Mais avec le temps, Joana apprit que la misère était le seul moment de véritable égalitarisme.
Chassés de la ville de Lisbonne du Portugal, ils atterrirent dans le ghetto de la Quinta des Hiboux. Des constructions clandestines abandonnées par leurs propriétaires, sans portes ni fenêtres, avec des escaliers sans rampe. L’eau, l’électricité et les infrastructures sanitaires étaient un mirage !
Qui eût dit que, tout à côté de la ville-lumière de Lisbonne, la misère pouvait exister et cohabiter avec l’opulence ? Quelle différence avec la vie qu’elle avait à Bissau ! Dans son pays natal, elle possédait une installation électrique mais le courant n’arrivait qu’un jour sur deux. Les robinets d’eau rouillaient, à force de rester si longtemps sans être parcourus par le précieux liquide.
A la Quinta des Hiboux, elle voyait les lumières au loin lorsqu’elle allait à Lisbonne. Elle regardait les vitrines remplies de victuailles, tout en sachant qu’elle ne pourrait rien acheter.
Mais ici, loin de son peuple, Joana, comme tant d’autres, se nourrissait de l’espérance de pouvoir vivre un jour comme les riches. Au moins, elle voyait la richesse passer à côté d’elle, dans les belles automobiles, les gratte-ciel, les banques et les cinémas. Par conséquent, elle avait le droit de rêver, un droit qui, au nom de la misère, lui était refusé à Bissau.
- Maman, aujourd’hui on ne va pas faire mon lit pour que je dorme ? demanda, surpris, le petit Pedro, les yeux pleins de sommeil.
- Tu vas dormir avec tante Maimuna, à côté. Mes amies doivent venir passer la nuit avec moi.
[...]
- Pourquoi ? Elles n’ont pas de maison ? On n’a pas de place pour mettre un autre matelas.
- C’est juste pour aujourd’hui, Pedrinho ! Elles s’en iront demain matin. Quand quelqu’un meurt dans notre famille, les amis viennent passer la nuit avec nous pour nous donner de la force. Aujourd’hui j’ai appris que mon oncle était mort.
- Qui, celui dont tu parles tant, de ton pays là-bas ?
- Pas de mon pays, de notre pays, de notre Guinée.
- C’est pas mon pays. Je suis d’ici, c’est ici que je suis né ! Je veux être blanc et pas petit noir de Guinée qui se lave la figure avec du café et va à la messe en lopé. Ah ! ah ! ah !
- Arrête de dire des bêtises ! Ce sont les histoires des petits blancs de la rue. Ton pays, c’est le pays de tes parents, le pays de tes grands-parents, mes parents. Ici nous devons être portugais, mais nous ne cessons pas d’être noirs. Et au lieu d’avoir honte tu dois en être fier, mon fils.
- Fier ? Tu veux que je danse quand ils m’appellent Chico Nègre ?
Filinto de Barros, (Guinée-Bissau), Kikia Matcho, Caminho, 1999
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