la peste
Dürer, Cavaliers de l’Apocalypse, 1498
Les douleur dans mon corps, dans ma tête, ne cessent de croître à présent. Les frissons sont plus longs, et les espaces entre eux plus courts, et chaque fois plus courts encore. Le sang jaillit de mon nez avec plus de fréquence et quant à mon corps, tant enflé par les bubons, j’ai presque peur de le regarder. Je ne sais pas de façon certaine combien de temps il y a que je suis dans cet état, car les quatre jours dont Martin d’Armez m’a parlé me paraissent à la fois lointains et effroyablement proches dans mon souvenir. De nouveau, ma mémoire me trahit. Comment puis-je me fier à elle, croire en elle, et dire que tout ce dont je me souviens est vrai ?
Il me reste un peu de viande séchée, un peu de poisson salé. Un peu d’eau, de vin, quelques fruits, quelques biscuits. Je n’ai plus de pain, ni d’autres boissons comme le cidre et la bière. Peu importe. La faim est une chose qui m’est devenue depuis longtemps étrangère, même indésirable, et je ne m’alimente que parce que ce serait un grand péché de me laisser mourir par faute de nourriture. De toute façon c’est ce qui arrivera si ma fin devait tarder. Mais si je me regarde dans le miroir et que mon regard s’attarde un peu sur mon corps malade, et que je vois en lui les signes qui l’écrasent et le détruisent, il me sera facile de voir qu’elle ne peut plus tarder beaucoup. Qu’il en soit ainsi. Peu importe. La peste et la faim sont finalement les mêmes masques sous lesquels la mort se dissimule. Et trois des Cavaliers de l’Apocalypse sont cela même : la peste, la faim et la mort.
Le quatrième est la guerre.
Sérgio Luís de Carvalho, Le Bestiaire inachevé (Anno Domini 1348), Phébus, 2003
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Magnifique! Je relis ces lignes de Sergio Luis de Carvalho, et immédiatement toute l’atmosphère de ce livre fascinant me revient en mémoire. Merci pour cette traduction essentielle!