Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 5 juillet, 2007

Combat loyal

Posté : 5 juillet, 2007 @ 10:44 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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tout ce que tu touches, ça meurt

je n’entends pas l’ineptie qu’elle a lue dans un livre quelconque, elle souligne dans les livres des phrases idiotes auxquelles elle donne vie avec ce ton de tragédie, pauvre enfant, ce coup ne m’atteint pas, mon adversaire a perdu une chance, je plaisante,

j’aimerais bien, je serais plus forte que le laser

si c’était vrai je serais compétitive avec les centres espagnols qui sont partout en train de promettre, jamais plus de poils superflus, qui exhortent, prenez le problème à la racine, comme elles sont assommantes les rengaines des vendeurs, je me tourne vers Ângelo, le laser est un fléau dangereux, la peau meurt quand on la prive de la racine des poils, je réponds, ce que tu lis dans les livre ne sert à rien dans la vie, ceux qui écrivent des livres ne comprennent rien à la vie, c’est pour ça qu’ils perdent leur temps à écrire, parce qu’ils ne comprennent pas, par exemple, que le temps est un bien précieux, Ângelo fait un geste d’impatience, en parlant de temps, le repas n’arrive toujours pas et Dora renchérit, Ângelo et Dora s’aiment bien, ils n’ont pas besoin de se faire du mal, ils m’excluent du sourire qu’ils échangent, je m’en fiche, il y a longtemps que je me fiche des sourires qu’ils échangent, d’eux, il y a longtemps que je me fiche de la maison que j’ai vendue aujourd’hui, du jardin, des arums que Dora a cueillis pour les offrir à ses grands-parents, de tout, je suis sûre que Dora a pleuré hier en coupant les derniers arums et en allant les offrir aux deux rectangles de pierre, ci-gît, nom complet, date de naissance et de mort, dans les renseignements complémentaires, regrets éternels, un formulaire que l’employé des pompes funèbres, il vaudrait mieux dire l’entrepreneur, a rempli quand j’ai eu choisi le modèle napoléonien du catalogue, j’ai choisi pour ma mère un modèle napoléonien et plus tard j’ai choisi pour mon père, je ne me souviens plus du modèle que j’ai choisi pour mon père, l’employé des pompes funèbres m’a serré la main et m’a fait part, pour la dixième fois, de sa sympathie, alors qu’

toute ma sympathie

il aurait mieux fait de la garder, il pouvait encore en avoir besoin et à moi elle ne me servait à rien, j’aurais dû lui conseiller de garder sa sympathie, on ne sait jamais quand on va avoir besoin de sympathie, de la petite boite de levain qui est dans la réserve depuis des années, de la veste en laine qu’on n’a pas portée depuis cinq hivers, on ne sait jamais quand on va avoir besoin des choses même si on ne les utilise jamais, sans cette incertitude j’aurais mis une annonce dans le journal, sympathie à vendre, état impeccable, comme neuve, occasion unique, pour cause de changement de vie, prix intéressant, Ângelo demande,

le mélange d’un perroquet et d’une girafe

Dora et moi n’avons pas terminé notre combat, nous sommes à égalité, Dora n’aurait pas dû gaspiller un atout avec une bêtise qu’elle a lu dans un livre, il n’y a rien de plus inutile dans la vie que les jolies phrases des livres, des naïfs, ceux qui choisissent la tâche de réinventer la vie, Dora a eu honte d’avoir été découverte,

tu fais mourir tout ce que tu touches

Ângelo insiste,

le croisement entre un perroquet et une girafe

Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta, Esprit des Péninsules, 2006

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