La femme interdite
La présence de l’étranger n’eût pas été gênante s’il n’avait pas été si peu sociable. Il ne parlait à personne, ne jouait pas avec les enfants, ne touchait pas les filles aux jambes épaisses. La seule et unique déclaration, énigmatique, qu’il avait faite, était qu’il était là pour chercher la vérité. C’est pourquoi il avait été remarqué, observé, et même suivi. Et sa routine, ces derniers jours, avait pu être retracée avec une relative certitude : il arrivait généralement le soir, vagabondait par les ruelles ou bien buvait à la taverne, mais en regardant toujours en direction de la fin du monde, qui coïncidait avec la fin du quartier.
Comme il avait l’habitude de partir le dernier, personne ne put distinguer les venelles qu’il empruntait et l’endroit où il dormait ; on s’en doutait – bien sûr. Mais le doute sur ce point ne fut levé que lorsqu’on le trouva mort en ce jour de 13 juin.
La structure des favelas obéit à une logique naturelle : les premiers habitants s’établissent tout de suite au bas de la pente ; ceux qui arrivent après, toujours plus haut. Au Santo Antônio, pourtant, c’était différent.
Bien que la colline ne soit pas haute, peu acceptaient pacifiquement l’idée d’en habiter les points les plus élevés. Les nouveaux arrivants s’installaient normalement dans les parties basses, provoquant un grand amoncellement asphyxiant de taudis, plus désordonnés qu’à l’ordinaire. Ce qui eût provoqué ailleurs une confusion certaine était ici l’objet d’une tolérance qu’on eût pu juger irrationnelle. Par conséquent, le sommet n’était peuplé que de malades, de misérables et de téméraires.
Mais il y avait une cohérence dans tout ça : aux confins du quartier se trouvait la baraque de la femme interdite.
La légende dit qu’elle était extrêmement laide, ce qui ne définit pas grand chose. En réalité, c’était la femme la plus laide du monde. Et elle n’avait pas d’infirmités, pas de déformations : sa laideur ne découlait pas du manque ou de l’abondance. C’était l’unique résultat de l’une des combinaisons possibles des traits humains. C’était une laideur intrinsèque ; une laideur immanente.
Il y eut, pour ainsi dire, un pacte forcé entre les habitants et le laideron, dès l’époque de la fondation de la favela : elle resterait barricadée dans son taudis, sans pouvoir descendre même pour passer dans les ruelles, en échange de nourriture et de vêtements. De l’autre côté, personne ne devrait la voir, seuls ceux qui s’occupaient de la ravitailler étant autorisés à s’approcher de sa masure pendant la journée.
Et voilà comment ça se passait : la laide dans sa prison et le Santo Antônio déposant à ses pieds le prix d’un châtiment auquel ne l’associait aucun crime apparent. Tous les jours, à la nuit tombée, à une heure à laquelle personne ne montait jusqu’à ces lieux déserts, la laide venait ramasser des restes de nourriture et des fripes en lambeaux. Cette pratique finit par faire du seuil de son exil un endroit dégoûtant, malodorant, pourri, infesté de mouches et de souris, le vide-ordures de la favela.
Alberto Mussa, Elegbara, Revan, 1997, nouvelle édition: Record, 2005