Le Cavalier
Trois ou quatre ans plus tard, on commença à voir passer dans la Combe un homme à cheval, de bon air et de bon maintien, qui saluait les uns et les autres et s’arrêtait à la porte de Quitéria, avec qui il tentait d’engager la conversation, demandant de l’eau, coulant des regards embués vers les jeux des enfants. Quitéria n’aimait pas parler aux étrangers, et, sitôt qu’elle lui avait donné à boire, elle rentrait. Mais un jour, avant qu’elle lui mette le verre d’eau dans les mains, il dit
- comme c’est bizarre : les autres sont tous bruns, et celui-ci, le plus petit, a les cheveux presque blancs – on dirait que ce n’est pas le vôtre…
- Oui, eh bien sachez qu’on ne dirait pas, mais c’est le mien
répondit-elle catégoriquement et presque impoliment
Ce n’était pas que l’inconnu vienne souvent, mais le peu de fois où il était là suffit à le rendre de plus en plus connu, bien qu’on ne sache rien de lui. Même pas son nom. C’est pourquoi, quand on parlait de lui, on disait : « le Cavalier ».
Il ne fallut pas longtemps pour qu’on le regarde avec sympathie, et il commença à se familiariser avec les gens de l’endroit. Mais il s’arrêtait toujours à la porte de Quitéria et il tirait de la poche de sa veste des châtaignes pelées, des figues sèches ou des amandes, qu’il mettait généralement dans les mains en conque de Serafim.
Un jour d’hiver il passa par la Combe presque à la nuit. Il pleuvait des trombes. A la taverne on lui dit qu’il valait mieux ne pas s’aventurer sur le chemin, car la rivière rugissait, elle était pleine et grosse et n’était pas d’humeur à supporter les plaisanteries ou les effronteries. Il y en eu même un qui lui offrit de l’héberger
- ami, ma grange est confortable, je vous donne une couverture, vous soupez avec nous, et tôt demain matin vous reprenez votre route. Peut-être que ce temps de chien se sera arrangé…
Mais il n’accepta pas. Il s’excusa en disant qu’il connaissait très bien le chemin.
Deux jours plus tard ils virent le cheval qui errait, sans harnais, comme une âme en peine, un peu en amont de la rivière, là où la gorge est plus étroite et rocheuse et l’eau plus turbulente. Et le Cavalier ne revint plus jamais dans la Combe.
António da Silva Carriço, Entre o corpo e a rosa, Colibri, 2002
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