Enquête en Alentejo
Sécheresse en Alentejo
… Une bande dont personne sait si elle existe vraiment ? Et vous avalez ça, bordel, vous avalez une histoire comme ça ? Après que la fille a dit aux deux autres types que c’est elle qui a tué le gars ? Et elle l’a pas répété à la gendarmerie ? Elle l’a pas dicté à celui qui est assis à la machine à écrire ? Elle a pas signé ? Alors ce chef Larguinho a pas dit personnellement, au téléphone, à Quim ici présent, que c’était vrai qu’elle l’avait tué ? Quim, caramba, il l’a dit ou il l’a pas dit ? On veut me prendre pour un con ?
Quand il s’emportait, tout le vernis de réserve avec lequel il aurait pu tenter de polir son discours se mettait à fondre à une vitesse affligeante. Teófilo Sampaio n’avait, manifestement, ni l’habitude ni le goût d’échanger des propos soutenus de manière aussi enflammée. Il se tenait très droit contre le haut dossier de la chaise, encore plus raide, les mains tordues l’une sur l’autre accompagnant la contraction de ses lèvres.
- Eh bien, mes amis, il vous faudra analyser ces aspects avec Larguinho. [...] Vous savez ce que c’est, il y a beaucoup de gens qui ont faim, beaucoup de chômage, des problèmes humains comme ça impressionnants. On sent, moi je sens, une certaine rage qui bout au fond de tout ça. Où allons nous ? Qu’est-ce qui nous attend ? Que va devenir notre région ? Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver, pour que rien de ce qui nous a toujours, depuis toujours, guidés, ne semble avoir de sens à présent ? Et les jeunes…
Ce mec est chiant comme une nuit avec la belle-mère, c’est ce que Joaquim Peixoto imagina que Sebastião Curto allait dire dès qu’ils seraient sortis de ce salon froid, plongé dans la pénombre, pénétré d’une humidité aussi triste que son propriétaire. Il sentait son énervement, à sa gauche, mais en même temps il se rappelait les yeux vagues d’Alberto Contreiras. La perversité qui dort sous les marguerites. Teófilo Sampaio semblait être maintenant en train de la déterrer tout entière, avec la violence imposée par les lieux communs, juste pour le stylo déjà transpirant du stagiaire.
- Les jeunes ne sont pas heureux, Docteur Sampaio ?
Sebastião Curto, impatienté, enfonça ses doigts noueux dans le peu de cheveux qu’il lui restait. Le rédacteur de La Voix de la Plaine pencha doucement la tête pour rendre sa peine encore plus évidente.
- Les jeunes, mon ami, allez savoir ce qui leur arrive. Ils s’appuient contre les murs, et c’est tout. Ils n’étudient pas, ne travaillent pas. Ils se mettent dans ces bandes, sans initiative, sans joie. On comprend certaines choses, que c’est difficile de trouver un emploi, et tout ce dont on n’arrête pas de parler, mais ça ne suffit pas à tout expliquer. Ils ne veulent rien faire. Je ne sais pas ce qui les intéresse. Ils vivent encore aux crochets de leurs parents, déjà adultes, ils végètent, laissent passer le temps, réclament de l’argent, toujours plus d’argent… Ils achètent des voitures neuves, ils vont en boîte, ils redoublent leur année. Et ils votent toujours à droite. Peut-être que vous pensez, mon ami, que je suis très réactionnaire, mais je vous assure que j’ai toujours eu l’esprit ouvert. J’ai toujours cherché à comprendre et à suivre les phénomènes de mon temps. Sauf que ça, ça ne me semble déjà plus compréhensible.
Clara Pinto Correia, Adeus, princesa, Relógio d’Água, 1985
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.