Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 30 juillet, 2007

frayeur

Posté : 30 juillet, 2007 @ 9:45 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Ker-Xavier Roussel, Centaure nageant sous l’orage, 1910

il s’approche à nouveau et ça n’est plus un fantôme, un homme, il pose les mains sur la fenêtre ouverte, des mains pâles et maigres, il sourit, on dirait qu’il sait que je lui mens, je remarque une bosse dans l’une de ses poches qui me paraît suspecte, il ne me faut pas plus d’une seconde pour être sûre que c’est une arme, je tremble légèrement, une arme, je n’arrive pas à détourner les yeux de la poche de son blouson, je les laisse la suivre, j’ai peur, une sensation agréable dans le ventre, dans les jambes, dans la langue qui s’enroule involontairement, l’homme porte la main à son blouson très lentement, j’avale la salive qui me vient dans la bouche, un bruit caractéristique, la peur qui me monte dans la bouche, dans le cœur qui bat plus vite, mon cœur devient tellement présent que je ne sais pas combien de temps je vais le supporter, l’homme enfonce la main dans sa poche sans cesser de sourire,

la nature aussi devient furieuse

il va sortir l’arme et me viser, un voleur, un assassin, combien de temps je peux faire durer cette plaisanterie, je fixe ses mains, il est amusé, il flaire ma peur

quand le ciel se révolte c’est une affaire sérieuse

qui n’est pas aussi vraie que je le prétends, si j’avais vraiment peur je crierais, j’essaierais de fermer la vitre, je verrouillerais les portières, si ma peur était vraie je tournerais la clef de contact et je m’enfuirais, je n’ai pas peur, je n’ai jamais eu peur d’aucun homme et je me suis persuadée que j’avais peur de tous, une plaisanterie, je ne bouge pas, encore une règle, ne jamais tourner le dos à la proie, même dans une situation de désavantage apparent, je ne pars pas, je détourne les yeux, j’appuie sur le bouton pour que la vitre remonte à moitié, l’eau froide qui me pique le visage me gêne, j’éteins la lumière du plafonnier, je commence à plier la carte, l’homme est toujours immobile, il met la main à sa poche, je pense, et si c’était maintenant, un couteau, un pistolet, un couteau brillant sur mon cou, la lame plus froide que la pluie, il dit, sors de la voiture, je ne bouge pas, il crie, sors de la voiture grosse pute, dans combien de temps est-ce que ça va arriver, l’homme sort de sa poche une bouteille, il me la montre, je ne reconnais pas tout de suite l’objet, la peur me fait mettre quelques instants à comprendre que c’est une bouteille, que l’homme, qui témoigne de la révolte du ciel, est ivre, je soupire, c’est la première fois que je vois un ivrogne préoccupé par la révolte du ciel,

 

vous voulez un coup pour vous réchauffer

Dulce Maria Cardoso, Les Anges, Violeta, Esprit des péninsules, 2006

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