Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour août, 2007

Diablerie

Posté : 27 août, 2007 @ 11:00 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 1 commentaire »

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Marius Borgeaud (1861-1924), Intérieur d’auberge

Angèle monta avec le souper dans la chambre du Soldat, le visage bien fardé, avec un petit voile et une camisole si propres qu’un boeuf les aurait bus dans l’eau. Si gracieuse, elle semblait dire : »Croquez-moi, croquez-moi » à qui fût moins continent que le Soldat, auquel elle s’adressa ainsi:
- Voici votre souper et moi-même pour vous servir, selon votre bon vouloir.
Et comme elle s’enquérait de son compagnon, le Soldat lui répondit qu’il était sorti et qu’elle pouvait se retirer et laisser là le souper. Un autre soir elle souperait avec lui et il lui paierait de retour les bonnes dispositions qu’elle lui témoignait, mais cette nuit ce n’était guère possible, car il se sentait souffrant.
Angèle, la rage au coeur que tout l’effort de sa parure n’eût servi de rien, se retira, non sans exprimer au Soldat l’intime douleur de son ressentiment. [...]
Le Soldat avait déjà fait un petit somme et il devait être près de onze heures du soir lorsque, une fois tous les hôtes couchés, Angèle s’étendit sur sa couche en proie à un vif ressentiment pour le mépris du Soldat, qu’elle regardait comme une grande offense à ses appâts, ce qui la tourmentait plus que la perte de cette belle occasion.
Commme Angèle était au lit, agitée par cette considération qui lui ôtait le sommeil, elle entendit une voix qui lui disait tout bas:
- Dors-tu, Angèle ?
[...]
Et la voix reprit :
- Tu me reconnais, Angèle ?

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Oiseaux

Posté : 23 août, 2007 @ 9:19 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

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*

Ils affluent sur les berges, jouent
comme si l’eau leur appartenait,
se posent au milieu des arbustes
comme s’ils avaient tout le temps ! Et

pourtant, ils savent que les nuages
vont emplir le ciel; et que le Nord

leur enverra le vent froid qui les
entraînera vers le Sud, laissant
derrière eux le silence
dans les champs. Mais ils s’en moquent
bien, quand ils se rassemblent, et
chantent l’éphéméride de
l’instant.

Nuno Júdice, Teoria geral do sentimento, 1999

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L’accompagnement

Posté : 21 août, 2007 @ 9:05 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

riviredemonchique.jpg

Rivière de Monchique (Tissu appliqué d’Evelyne Régnault)

En ce matin de septembre, Virgolina fut trouvée morte, en bordure de l’aire de terre battue, derrière la maison. Complètement nue. C’était une femme sans âge, mais à ce moment-là, exposée dans sa nudité, elle resplendissait presque par la fraîcheur de sa peau et la fermeté de sa chair.
La nouvelle se répandit rapidement et les gens de la Combe se rassemblèrent autour d’elle. Les femmes la regardaient par en dessous, avec pudeur, la main devant la bouche qu’elles ouvraient grande sous l’effet de la surprise. Les hommes la regardaient en face, esbaudis par la luminosité qui irradiait de ce corps gisant sur le sol.
Serafim était allé au lever du jour ouvrir l’eau pour arroser le potager. Lorsqu’il apprit l’événement, il arriva en courant. Ils faisaient déjà tous cercle autour d’elle, formant le mur d’un puits de curiosité et d’ébahissement. En voyant cette lumière qui se déversait sur l’aire, il courut à l’intérieur, dans le moulin, attrapa le drap de lin qui attendait dans un plateau la pâte vivante du pain, se fraya de nouveau un chemin entre les épaules serrées, et arriva près de la morte. Il baissa la tête, redressa les jambes, et jeta un regard circulaire. Il semblait souhaiter que personne ne le voie. Puis il se releva, prit de la stature, et secoua le drap qui claqua dans l’air comme un battement d’ailes. Lentement, il le posa sur le corps, le cachant aux regard.
- je vais à la ville aviser les autorités et m’occuper de l’enterrement, dit-il.
Le médecin fit son travail. Il y mit de la mauvaise volonté, mais enfin il vint. En tournant le corps, il vit un filet de sang qui descendait de la nuque, près de la tresse enroulée, et qui s’infiltrait dans la terre. Mais il ne fit pas d’histoires. La police non plus.
L’accompagnement de Virgolina (ce qu’à cet endroit-là on nomme accompagnement) fut fait par les hommes qui l’emmenèrent au cimetière. Rien que des hommes, c’était la coutume. Januário resta chez lui.
De bon matin ils gravissaient déjà la pente. Sur la crête de la montagne, à contre-jour, la plupart du temps en file indienne, ils se découpaient sur le rouge violacé du levant. A mesure qu’ils avançaient, le ciel s’ouvrait en écailles aux reflets d’or, de rose et de nacre. Devant, le cercueil sur les portoirs, dans les mains ou sur les épaules de quatre hommes qui passaient à peine de front dans les sentiers. En sueur et tendus, ils progressaient difficilement. De temps en temps, de l’accompagnement, l’un demandait : Tu fais équipe avec moi ? Et ils se relayaient.
Serafim n’arrêtait pas : s’il se reposait un tour, il faisait aussitôt partie des deux ou trois suivants.
Dans la forêt, avant d’arriver à la route, les hommes marchaient le chapeau sur la tête. Mais lorsque l’un d’eux disait Nous allons dire un Notre Père, tous ôtaient leur chapeau et priaient en chœur.
On raconte que c’est pendant que le corps de Virgolina était rendu à la terre, à ce moment précis, qu’apparut en bordure de l’aire où elle avait été trouvée morte la veille, précisément à l’endroit où s’était infiltré le filet de sang qui s’écoulait de sa nuque, un rosier sauvage chargé de fleurs. De roses rouges. Qui n’avait jamais été là avant. Qui y est encore depuis.

António da Silva Carriço, Entre o corpo e a rosa, Colibri, 2002

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deux ombres

Posté : 17 août, 2007 @ 9:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

 

incendie.jpg

 

Peut-être parce que le soleil se trouvait à son zénith, ou pour une raison inexplicable, tout se mit à briller comme si les particules de l’air explosaient en petits soleils jaunes. Ntsato se frotta plusieurs fois les yeux de ses mains, cherchant à s’habituer à cet éclat cru qui le gênait et le troublait. Un peu plus loin, sur le fleuve, le sillage laissé par la barque était maintenant un gigantesque serpent luisant et silencieux qui se tordait à fleur d’eau. Un serpent dont, comme un seul corps, la barque et le rameur constituaient la tête. Le grand serpent de M’bona, l’origine du monde et de toutes les choses. Un serpent porteur de présages. Ntsato s’affola à cette vision bien que le serpent ne révèle pas d’intentions agressives ni ne semble même avoir remarqué sa présence. Il chercha les yeux mais il ne parvint pas à saisir si ce qu’il voyait était bien l’éclair de son regard ou les petits reflets du soleil à la surface de l’eau.
Effrayé, il détourna le regard vers le Sud, vers la berge assez lointaine (car le fleuve est large à cet endroit-là). Comme toujours, vue de là la berge était noire et ses détails estompés par la distance. Il aiguisa son regard et il lui sembla y découvrir de gigantesques gueules de lion, grandes ouvertes, en même temps qu’à ses oreilles délirantes arrivait le bruit caverneux de leurs rugissements, entonnés à l’unisson :
- Vôôôôôôôôôô !
Derrière le ruban sombre de la côte un gigantesque incendie ravageait la terre et sa fumée était à présent la vapeur exhalée par les mufles des terribles bêtes, et les flammèches comme la lueur fulminante de leur regard, tantôt rouges tantôt jaunes – le jaune haineux du lion.
Tournoyant sur lui-même, Leónidas Ntsato tomba à genoux, sa poitrine se secouant de façon anarchique, et il finit par retomber la face dans le sable, exactement dans la position où il se trouvait quand il s’était réveillé peu de temps avant.

João Paulo Borges Coelho (Mozambique), As duas sombras do rio, Caminho, 2003

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hygiène

Posté : 16 août, 2007 @ 9:18 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Edouard Manet, La serveuse de bocks

Quand un nouveau café s’est ouvert à Sapadores, beaucoup d’hommes se sont sentis attirés par la coiffe d’infirmière de la serveuse, un peu triste, comme il convenait à une coiffe. Chacun avait envie d’être traité comme un malade. Un malade ambulatoire qui prend son médicament, le café, à heure fixe. Mais après deux ou trois semaines, ces mêmes clients commencèrent à se sentir internés, bien que disposant d’une permission illimitée de sortir de l’établissement quand ça leur chantait. Certains ressentirent les premiers symptômes dès la première semaine, d’autres imaginèrent une aggravation galopante, et à d’autres encore, cas le plus douloureux – le médecin interdit définitivement de boire du café. D’autres, même avec des symptômes de plus en plus clairement définis, ressentaient en sortant un certain soulagement, comme il arrive lorsqu’on sort d’un traitement ambulatoire. Quand la serveuse se penchait pour ramasser quelque chose, certains manquaient d’air. Mais son regard sévère leur rappelait qu’ils devaient supporter la souffrance avec fermeté et dignité – finalement ils étaient tous là dans le même but – maintenir leurs problèmes dans un état stationnaire. Lorsque l’un des clients à l’esprit plus sain suggéra discrètement que la dame du comptoir cessât de porter sa coiffe, suggestion qui fut acceptée avec la sérénité et le mutisme habituels, la plupart d’entre eux se sentit abandonnée comme en un lazaret que le front laisse en arrière.

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Prétention

Posté : 12 août, 2007 @ 9:27 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Isa pensait que le salon possédait l’atmosphère qui traduisait le mieux leur personnalité.
- C’est là où se trouve la télévision et où nous passons une bonne partie de la journée et de la soirée, ma cousine, observa-t-elle. Et c’est là aussi que se trouve notre histoire familiale, les photographies des êtres que nous aimons, mon Jorge, nos parents, les volumes cartonnés de l’Encyclopédie, la collection de théières miniatures
enfin, ce n’est pas la peine que j’énumère ce que tu connais aussi bien que moi.
Mais Elvira n’était pas disposée à céder :
- Ce sont des idées de bonniche, ma cousine. Des trivialités de pauvres. Et elle ajouta : non, pour moi, nous devrions nous asseoir sur le canapé de velours rouge de la salle de séjour, en le poussant un peu plus vers le milieu pour qu’on voie un morceau du lustre et du cadre du miroir qui vient de
- Ah, non, excuse-moi, mais je ne suis pas d’accord, interrompit Isa. Je trouve que c’est prétentieux et que ça ne traduit pas les principes de modestie et de simplicité dans lesquels nous avons été élevées et que sans aucun doute nous
- N’importe quoi, grommela Elvira. Tu n’as rien de modeste, ma cousine.
Isa croisa les bras et regarda Elvira.
- Tu as du culot, dit-elle, furieuse. Mais inutile de nous disputer plus longtemps
d’accord, le mieux, c’est que Lucas fasse le portrait de chacune de nous séparément, comme ça tu pourras t’habiller en diva et t’affaler autant que tu voudras sur le canapé.
Catarina rit
- Je paierais cher pour voir Elvira habillée en diva et affalée sur le canapé.

Ana Nobre de Gusmão, O Pintor, Asa, 2004

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Un résistant

Posté : 11 août, 2007 @ 9:33 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 5 commentaires »

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Six mois après son arrestation, Klaus reçut la visite de ses parents. Les parents de Klaus étaient toujours dans leur maison. Ils avaient été commerçants avant l’arrivée des militaires, après l’arrivée des militaires ils avaient fait d’autres affaires. Ils étaient respectés, respectaient les autres. Personne n’avait touché à rien. La brutalité est d’une délicatesse exubérante en face des riches ; rien de neuf.
Klaus fut habillé pour recevoir ses parents. Mais il restait son corps. Et son corps était maigre et ses yeux différents, des yeux évidents : il savaient ce qu’il y avait à faire. Le prisonnier Klaus était un homme qui n’hésitait plus.
Ses parents étaient habillés comme d’habitude. Klaus se rappelait la veste que son père portait. Klaus avait aidé son père à choisir sa veste. Il y avait combien de temps ? Deux ans, un an ? La mère de Klaus portait une robe de couleur vive. La mère de Klaus ne dit rien. Klaus vit qu’elle avait au cou le même bijou que d’habitude.
Le père de Klaus dit :
Quand tu veux, nous te tirons d’ici. Nous avons de l’argent. Tout est arrangé. Viens travailler avec nous. Les affaires marchent bien. Si tu viens travailler avec nous rapidement tu oublieras tout. La vie est revenue à la normale. Ils construisent quelque chose au centre-ville. Il n’y a plus un seul résistant.

Gonçalo M. Tavares, Um Homem : Klaus Klump, Livros pretos, Caminho, 2003

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Etrange

Posté : 10 août, 2007 @ 8:26 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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Lorsqu’elle regarda la montre que Daniel lui avait offerte pour son anniversaire, (un petit bracelet d’argent, un cadran sans chiffres), elle comprit qu’il s’était passé plus de deux heures. Et que, sans s’en rendre compte, elle était arrivée près des rochers, des montagnes basses qui, vues de la maison, paraissaient très éloignées.
Elle pensait à s’en retourner, lorsqu’elle remarqua les marches raides qu’une main humaine avait taillées dans la roche d’une façon rudimentaire. Elle hésita un peu et commença à monter ; au bout de quelques minutes elle découvrit que les marches se perdaient dans un tunnel assez obscur qui s’enfonçait dans la montagne.
Elle avança prudemment sur le sol irrégulier recouvert de mousse, en s’efforçant d’éviter l’eau qui gouttait du plafond et des parois ; peu après elle se trouva sur une plate-forme à l’air libre, entièrement entourée de rochers. C’était bizarre que ce chemin n’ait pas de sortie, cela n’avait pas de sens. Elle examina le lieu jusqu’à ce qu’elle aperçoive à nouveau, derrière un pli de rocher, des marches, et un autre tunnel, beaucoup plus long (elle dut avancer durant quelques minutes dans une obscurité totale, en tâtonnant le long des parois). Puis dans le tunnel, qui montait légèrement, la clarté revint et elle vit à l’extrémité un peu de ciel gris. Elle courut un peu, anxieuse de se retrouver à l’air libre.
Elle se trouvait à présent sur une vaste terrasse de pierre, au centre d’un plateau qui s’étendait à perte de vue. Il était recouvert de bruyère et d’ajoncs, et elle apercevait au loin des arbres au feuillage sombre et dense. Sur sa gauche elle vit les ruines d’une maison, au milieu d’un vaste jardin de plantes mortes.
Là, l’air était froid, elle entoura son corps de ses bras. Dans les champs poussaient des fleurs sauvages, si possible encore plus sauvages que de l’autre côté, mais il y avait quelque chose d’étrange qu’elle ne savait définir. Peu à peu elle comprit de quoi il s’agissait. A cet endroit-là l’automne était déjà fini, c’était le plein hiver pour la végétation, les herbes sèches ; c’était janvier, peut-être, les ajoncs et les genêts étaient en fleur.
La maison en ruines l’enveloppait dans son enchantement. Elle avait toujours aimé les ruines, les châteaux, les temples. Elle se sentait émue par l’intimité des pierres, la végétation famélique, les oiseaux qui faisaient des nids dans les fentes, les animaux sauvages qui dormaient dans les recoins que la lumière n’atteignait jamais.

Ana Teresa Pereira, (Açores) « Anamnese », in Se eu morrer antes de acordar, Relógio de Água, 2004

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