Rivière de Monchique (Tissu appliqué d’Evelyne Régnault)
En ce matin de septembre, Virgolina fut trouvée morte, en bordure de l’aire de terre battue, derrière la maison. Complètement nue. C’était une femme sans âge, mais à ce moment-là, exposée dans sa nudité, elle resplendissait presque par la fraîcheur de sa peau et la fermeté de sa chair.
La nouvelle se répandit rapidement et les gens de la Combe se rassemblèrent autour d’elle. Les femmes la regardaient par en dessous, avec pudeur, la main devant la bouche qu’elles ouvraient grande sous l’effet de la surprise. Les hommes la regardaient en face, esbaudis par la luminosité qui irradiait de ce corps gisant sur le sol.
Serafim était allé au lever du jour ouvrir l’eau pour arroser le potager. Lorsqu’il apprit l’événement, il arriva en courant. Ils faisaient déjà tous cercle autour d’elle, formant le mur d’un puits de curiosité et d’ébahissement. En voyant cette lumière qui se déversait sur l’aire, il courut à l’intérieur, dans le moulin, attrapa le drap de lin qui attendait dans un plateau la pâte vivante du pain, se fraya de nouveau un chemin entre les épaules serrées, et arriva près de la morte. Il baissa la tête, redressa les jambes, et jeta un regard circulaire. Il semblait souhaiter que personne ne le voie. Puis il se releva, prit de la stature, et secoua le drap qui claqua dans l’air comme un battement d’ailes. Lentement, il le posa sur le corps, le cachant aux regard.
- je vais à la ville aviser les autorités et m’occuper de l’enterrement, dit-il.
Le médecin fit son travail. Il y mit de la mauvaise volonté, mais enfin il vint. En tournant le corps, il vit un filet de sang qui descendait de la nuque, près de la tresse enroulée, et qui s’infiltrait dans la terre. Mais il ne fit pas d’histoires. La police non plus.
L’accompagnement de Virgolina (ce qu’à cet endroit-là on nomme accompagnement) fut fait par les hommes qui l’emmenèrent au cimetière. Rien que des hommes, c’était la coutume. Januário resta chez lui.
De bon matin ils gravissaient déjà la pente. Sur la crête de la montagne, à contre-jour, la plupart du temps en file indienne, ils se découpaient sur le rouge violacé du levant. A mesure qu’ils avançaient, le ciel s’ouvrait en écailles aux reflets d’or, de rose et de nacre. Devant, le cercueil sur les portoirs, dans les mains ou sur les épaules de quatre hommes qui passaient à peine de front dans les sentiers. En sueur et tendus, ils progressaient difficilement. De temps en temps, de l’accompagnement, l’un demandait : Tu fais équipe avec moi ? Et ils se relayaient.
Serafim n’arrêtait pas : s’il se reposait un tour, il faisait aussitôt partie des deux ou trois suivants.
Dans la forêt, avant d’arriver à la route, les hommes marchaient le chapeau sur la tête. Mais lorsque l’un d’eux disait Nous allons dire un Notre Père, tous ôtaient leur chapeau et priaient en chœur.
On raconte que c’est pendant que le corps de Virgolina était rendu à la terre, à ce moment précis, qu’apparut en bordure de l’aire où elle avait été trouvée morte la veille, précisément à l’endroit où s’était infiltré le filet de sang qui s’écoulait de sa nuque, un rosier sauvage chargé de fleurs. De roses rouges. Qui n’avait jamais été là avant. Qui y est encore depuis.
António da Silva Carriço, Entre o corpo e a rosa, Colibri, 2002
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