deux ombres
Peut-être parce que le soleil se trouvait à son zénith, ou pour une raison inexplicable, tout se mit à briller comme si les particules de l’air explosaient en petits soleils jaunes. Ntsato se frotta plusieurs fois les yeux de ses mains, cherchant à s’habituer à cet éclat cru qui le gênait et le troublait. Un peu plus loin, sur le fleuve, le sillage laissé par la barque était maintenant un gigantesque serpent luisant et silencieux qui se tordait à fleur d’eau. Un serpent dont, comme un seul corps, la barque et le rameur constituaient la tête. Le grand serpent de M’bona, l’origine du monde et de toutes les choses. Un serpent porteur de présages. Ntsato s’affola à cette vision bien que le serpent ne révèle pas d’intentions agressives ni ne semble même avoir remarqué sa présence. Il chercha les yeux mais il ne parvint pas à saisir si ce qu’il voyait était bien l’éclair de son regard ou les petits reflets du soleil à la surface de l’eau.
Effrayé, il détourna le regard vers le Sud, vers la berge assez lointaine (car le fleuve est large à cet endroit-là). Comme toujours, vue de là la berge était noire et ses détails estompés par la distance. Il aiguisa son regard et il lui sembla y découvrir de gigantesques gueules de lion, grandes ouvertes, en même temps qu’à ses oreilles délirantes arrivait le bruit caverneux de leurs rugissements, entonnés à l’unisson :
- Vôôôôôôôôôô !
Derrière le ruban sombre de la côte un gigantesque incendie ravageait la terre et sa fumée était à présent la vapeur exhalée par les mufles des terribles bêtes, et les flammèches comme la lueur fulminante de leur regard, tantôt rouges tantôt jaunes – le jaune haineux du lion.
Tournoyant sur lui-même, Leónidas Ntsato tomba à genoux, sa poitrine se secouant de façon anarchique, et il finit par retomber la face dans le sable, exactement dans la position où il se trouvait quand il s’était réveillé peu de temps avant.
João Paulo Borges Coelho (Mozambique), As duas sombras do rio, Caminho, 2003