indifférence
La bonne ville nettoie la partie sale que l’enfer a laissée. Certains cœurs ont été traversés par un métal clair, maudits par ce qui dans la guerre n’est pas inutile : la matière dense et incompatible avec la vie. Le mort se confond avec une partie de l’automne, trois hommes à la voix rauque ou basse soulèvent la masse morte avec les doigts fondamentaux de l’hygiène ; parmi les légères feuilles marron, le corps lui aussi marron, plus lourd. La ville est efficace. Dans le ciel il y a un autre monde impavide.
[...]
Tout est mensonge. C’est dimanche, et les épiceries de la ville sont ouvertes le dimanche. Il y a encore des poires étonnantes, et la présence physique d’un groupe de pommes dans un cageot surprend ceux qui ont vu la violence que six militaires ont exercée sur ceux qui sont faibles et qui tremblent.
La cruauté est une catégorie de l’intelligence. Ce n’est pas une invention surnaturelle, elle ne pousse pas non plus à partir de substances inscrites dans les végétaux comestibles. La cruauté est une catégorie de l’instinct, oui, mais aussi de l’intelligence, du raisonnement. Comme si c’était une étape du parcours accompli par le cerveau mathématique lorsqu’il prétend résoudre des problèmes numériques. Déduction, induction et cruauté.
Mais ce qui est encore mieux distribué que la cruauté, c’est cette indifférence universelle qui naît du fait que les corps sont violemment séparés même en temps de paix. Les matériaux sont incompatibles et certaines répétitions de noms tentent de masquer l’évidence : il n’y a pas deux matériaux qui portent le même nom.
Une grande partie de la ville a été conquise par cette armée neutre qui n’est pas une armée : l’indifférence. Si tu veux survivre, mets ton courage dans un sac en plastique et attends.
Gonçalo M. Tavares, A Máquina de Joseph Walser, Caminho, 2004