Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Voracité

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 19 septembre, 2007 @ 6:07

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(Extrait lu par Carlos Gomes)

- C’est la poussière, dit Mário, en s’essuyant les mains à sa chemise.
- Ce sont les bestioles et la méchanceté des hommes, dit Alcino.
- Ce serait une catastrophe si quelqu’un apprenait que les livres sont tous pourris, dit l’évêque, une des rares fois où il vint s’enquérir des progrès de l’oeuvre. Il faut que je vous envoie d’urgence un spécialiste.
C’est à ce moment-là qu’on fit venir du couvent des Bernardines une soeur handicapée des jambes, mais très savante sur le chapitre de la conservation et la restauration. Elle fut amenée dans une espèce de fauteuil roulant en bois qui se traînait plus qu’il ne roulait.
- C’est pour l’expiation des péchés du monde, qui sont plus nombreux que les miens, disait-elle. Mais en réalité, la souffrance se situait surtout dans les bras des soeurs assistantes qui, en rechignant (et même en maudissant intérieurement l’heure où elle avaient fait un pas en avant pour se proposer pour aider leur consoeur âgée) la déposèrent d’étagère en étagère et ensuite près d’une des grandes tables de la pièce.
Ils apprirent alors, l’aspirant prêtre et le prêtre aspirant, que :

a) On ne sort jamais un livre de son étagère en tirant sur le bord supérieur de la tranche. Les livres sont faits pour être rangés en respectant un espace vide entre eux, qui facilite leur retrait, (et on voyait bien qu’ils avaient dû tout faire sans précaution, parce que les hommes, tout prêtres qu’ils soient, n’ont aucune délicatesse pour rien.)
b) On ne doit jamais poser des documents directement les uns sur les autres, sans une protection, car les additifs chimiques de l’un pourraient atteindre l’autre par effet de migration. Parce que tout migre, même le malheur.

- Nous avons fait ce que nous avons pu. Nous avons même utilisé du ruban adhésif…

c) On n’utilise jamais de ruban adhésif ! A cause de la composition chimique de la colle. Avec le temps, la colle pénètre dans les fibres du papier, en déclenchant une réaction acide irréversible. Le ruban ne colle plus et le livre est taché.
d) Ne jamais utiliser de colles plastiques qui, vu leur haute teneur d’acidité, provoquent des réactions acides et des taches irréversibles.


- Pas question, ma soeur… – c’était maintenant l’évêque qui était venu espionner – Je prends moi-même le plus grand soin de tout ça. Si je vois qu’une page se détache, je la fixe avec…

e) Ne pas utiliser de clips, de trombones ou d’épingles sur les documents, ou les pages de livre, car ces objets laissent de la rouille, et affaiblissent le papier à l’endroit où on les a placés.

Elle regarda les doigts de l’homme, gros, et même moites à ce moment-là.

f) Ne jamais humecter ses doigts de salive, ou tout autre genre de liquide, pour tourner les pages d’un livre, car celles-ci peuvent être salies et déclencher des réactions acides préjudiciables ; ne pas non plus faire de marques dans les livres, que ce soit au crayon, à l’encre, ou en pliant le coin supérieur ou inférieur des pages ;

Elle montra du doigt la fenêtre et, dans son fauteuil cahotant, s’approcha de la lumière.

g) Tous les livres et les documents doivent être protégés de l’incidence directe des rayons solaires. Si Dieu voulait qu’ils marchent vers la lumière il leur aurait donné des jambes et leur aurait ordonné de prier. Et ne pas oublier de tout aérer. Le papier a besoin d’oxygène, car lui aussi respire.

On ouvrit aussitôt une fenêtre. Comme il y avait du vent deux cartes qui étaient pliées sur la table s’envolèrent dans les airs, ce qui donna lieu à une critique de plus sur le pliage de documents et leur mauvais conditionnement.
Elle s’arrêta là, la soeur, pour demander qu’on lui apporte de l’eau. Pas trop propre de préférence, c’était toujours un péché de plus qu’elle expiait. Un des moines s’empressa d’aller lui chercher ce qu’elle voulait, suivi par un évêque qui marmonnait quelque chose au sujet d’une tâche d’une extrême urgence.
Ce n’est qu’après qu’arriva le problème des bestioles. Les yeux de la soeur brillèrent quand elle prononça les mots  « poissons d’argent « 
- Les livres sont trahis par leur nature organique. Ils sont faits de papier, de cuir… de parchemin…, et comme tout dans la vie, il y en a qui en profite et qui les mangent.
Elle frappa du poing sur la table et cria :
- Les champignons, les bactéries, les insectes et même des êtres plus grands comme les rats, se nourrissent en détruisant ce que Notre Seigneur Dieu a inspiré ! Et, avec un dégoût bien marqué, elle leur parla de la multitude des espèces bibiophages, qui, incapables de produire de la connaissance, mangent tout ce que les créateurs ont fait, avec une voracité qui dans la plupart des cas conduit à l’oubli d’une oeuvre déterminée. Stimulées par un taux humidité trop élevé et profitant de la discrétion que la poussière et l’éclairage insuffisant jettent sur leurs vies insignifiantes, elles rongent ce qu’elles peuvent, en s’attaquant ensuite, les yeux baissés, à un autre auteur, un autre volume, pour un autre banquet immonde.

Possidónio Cachapa, Rio da Glória, Oficina do Livro, 2006

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2 commentaires »

  1. Fati dit :

    Un bel homage aux livre et leur conservation, j’ai déjà eu se type de cours à l’école de bibliothècatre, maus lorsqu’on voit de Superbes bibliothèques, avec des grandes baies vitrées, les architèctes n’on pas du assister à ce cours

  2. lusina dit :

    Bonsoir Fati ! En effet, même si ce texte de Possidonio Cachapa est amusant, on apprend pas mal de choses sur la conservation des livres… Et les grandes baies vitrées ne sont pas conseillées, c’est vrai !

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