L’homme laid
Dessin de Luke Brown (www.spectraleyes.com)
C’est peut-être pour ça qu’ils lui racontèrent l’histoire de l’Homme Laid.
Il y a longtemps, au milieu du sertão, une femme sentit la vie bouger en elle. En ajoutant à ça les nausées et la pratique de la conception acquise avec ses cinq enfants précédents, elle alla voir son mari et se déclara enceinte. Celui-ci, qui gagnait sa vie en vendant des chaises faites de branches d’arbres ramassées dans la forêt, tressées de rameaux d’arbustes, dans les formes que son imagination lui dictait, soupira, avant d’accepter avec joie l’arrivée d’une bouche supplémentaire. Sa femme, pourtant, éprouvait des sentiments mêlés, qu’elle mit sur le compte de la difficulté à nourrir un enfant de plus. C’était, en vérité, une sorte de pressentiment du destin qui se profilait. Son ventre grossit normalement jusqu’à près de quatre mois. Un jour, apparut un homme grand et laid, qui demanda de l’eau et quelque chose à manger. Ses mains étaient épaisses et sèches comme s’il lui était interdit de toucher la fragilité. Le mari se trouvait dans la forêt en train de chercher du bois et n’assista pas à l’arrivée de l’inconnu. Les enfants entourèrent l’homme qui mangeait et le pressèrent de questions. Lorsqu’il eut presque fini, il dit à la femme que sa famille était une beauté. Elle, qui avait toujours été aimée pour la gentillesse de son cœur, déclara qu’il n’y avait rien de plus important pour elle que la beauté d’une nuit de pleine lune, en compagnie de gens qu’on aime. L’homme sembla méditer cela, affirmant que, pour autant qu’il regarde autour de lui, il ne voyait rien de laid. Elle-même était si jolie qu’il avait décidé d’en profiter. La femme recula, appelant son mari à grands cris, mais cela ne lui servit de rien. Les enfants furent enfermés dans une baraque où, auparavant, on enfermait les poules, et la femme fut attachée au bord du lit. L’homme sortit et revint.