cercle mystique
Aquarelle de Ana Diogo (2004)
L’initiative fut considérée comme louable, bien que pour des raisons inconnues. C’était une expérience où il faudrait non seulement afficher son curriculum, mais prouver la pureté de son âme et de ses intentions. Il fallait la réaliser au milieu de la jungle au moment de la pleine lune. Je ne me préoccupai pas de la méthodologie, car l’expérience ne doit jamais en être l’esclave. L’essentiel était de suivre l’exemple de certains mystiques, de rendre la réalité visible pour les autres. Une tâche d’une extrême simplicité – dessiner un cercle, ni trop grand ni trop petit, mais suffisamment confortable pour s’asseoir et appeler mentalement la population animale, en un rituel très singulier, et attendre qu’elle s’approche. Si la pureté n’était pas entachée de mélanges indésirables, et donc dangereux, aucun animal sauvage ou apprivoisé n’entrerait dans le cercle pour massacrer ou blesser les membres de l’équipe.
Pendant que les autres s’occupaient de la perfection du cercle, je remarquai, avec une certaine inquiétude, que la lune était trop pâle (serait-ce possible ?) un peu verte, et que ses contours étaient difformes. Les étoiles elles-mêmes étaient ternes et troubles, beaucoup perdaient l’équilibre et tombaient sans aucun éclat. D’autres, dans les constellations, et surtout le Petit Chariot, n’étaient pas à leur place, créant l’image d’un carrosse tordu, incapable de suivre le droit chemin. Même l’obscurité se trouvait étrangement indéfinie. Comme j’étais consterné par le hurlement des renards, le cri peu habituel des chouettes, et constamment distrait par le vol désordonné des chauves-souris, plusieurs pensées irrégulières me passèrent dans la tête, sans léser en rien la noblesse de cet acte mystico-politique.
Je sais que l’ironie affaiblit la portée des réflexions soit sur le mysticisme, soit sur la démocratie. Mais qui parvient à atteindre ou au moins à s’acheminer vers une vision mystique avec tout son sérieux ? L’expérience mystique n’est pas un sentiment, une idée n’est pas une décision ni une pensée, ni une volonté ni un désir, mais cette ligne séparatrice qui divise tout et s’évanouit dans le néant. C’est arrêter de sentir, de penser et de comprendre, annuler le paradoxe de son interdépendance, involontairement, bien sûr. Voilà tout. Comment les mystiques pourraient-ils écrire, alors qu’ils pensent différemment des autres, et surtout des autres mystiques? Des mystiques, nous ne pouvons savoir que des banalités. Et eux-mêmes, sans doute n’en savent-ils pas autant.
Dimíter Ánguelov, Longe da espécie, inédit.
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