Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 1 novembre, 2007

charme

Posté : 1 novembre, 2007 @ 7:27 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

 

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Lorsqu’elle arriva sur le plateau, la vision la troubla tellement qu’elle se laissa tomber à genoux, les bras autour du corps, et entrouvrit les lèvres comme si elle criait.
Mais ensuite un grand calme l’envahit, elle respira profondément, se releva et avança lentement en direction de la maison, comme elle l’avait fait si souvent.
Comme elle l’avait fait si souvent.
Elle entra dans le jardin entouré d’arcades de pierre, presque cachées par le lierre et le chèvrefeuille en fleur. Les camélias très rouges étaient d’une beauté qu‘elle avait presque oubliée, qui la touchait au plus profond d’elle-même. Elle resta immobile un moment sous un très vieil arbre, regardant ses jambes nues entourées de fleurs tombées, sentit que quelques-une étaient tombées dans ses cheveux et glissaient sur le sol. Elle se mit sur la pointe des pieds pour effleurer les boutons blancs d’un magnolia qui commençait à peine à fleurir. Tout à côté il y en avait un autre avec des boutons roses, la sensation des pétales serrés lui fit fermer à demi les yeux, s’évader loin. Sur le rhododendron qui poussait près de la maison les fleurs rouge sang étaient en train d’apparaître.
Elle s’arrêta, pensive, à une certaine distance de la véranda, elle voyait un couloir formé par les arcades blanchâtres, à la peinture un peu passée comme dans le reste de la maison. Ici poussaient des arbustes couverts d’épines, verts et rouges, elle découvrit un ou deux boutons en train de se former. C’étaient des rosiers. Des roses. Et elle voulait connaître l’histoire des roses, celle dont elles rêvaient tout le temps. Elle avait l’intuition que cela avait un rapport avec elle, que si elle connaissait l’histoire des roses…
Cette fois il n’y avait personne sur la terrasse des combles. Un très grand silence envahissait tout, un silence d’oiseaux, d’eau au loin. Le parfum des plantes se mêlait à celui de la terre humide, il y avait des gouttes de rosée sur l’herbe, sur les petites fleurs sauvages qui pointaient partout.
Elle inspira l’air frais et froid, comme au commencement du monde. La maison était très belle, se découpant sur le ciel sombre. Elle l’enveloppa d’un regard comme si elle l’enlaçait. Puis elle se dirigea vers la porte d’entrée.
Cela n’aurait pas de sens de frapper ou d’appeler quelqu’un. Elle ne l’avait jamais fait auparavant. De plus, la porte était entrouverte et elle n’eut même pas besoin de la pousser, son corps svelte se faufila facilement à l’intérieur.
A l’intérieur ça sentait les fleurs et l’encens. Les meubles anciens, massifs, étaient couverts de poussière et les toiles d’araignées s’étendaient en des labyrinthes compliqués. Mais Carla avait toujours aimé les araignées.

Ana Teresa Pereira, (Madère), « Anamnese », in Se eu morrer antes de acordar, Relógio de Água, 2004

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