le poème
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On dit souvent que la poésie est intraduisible, et qu’il faut apprendre une langue pour lire un tel poète – Mallarmé, Rilke, Pessoa – Je pose le problème d’un autre point de vue. Dans quelle mesure le poème original n’est-il pas, au départ, une traduction ? En effet quand j’écris et je cherche les mots qui vont composer le poème, ce que je fais est une sorte de traduction d’un texte abstrait, immémorial, dont je connais le sens général, et qu’il me faut mettre dans ma langue. Le résultat, donc, est une transposition de ce texte qui a traversé les âges – et que Mallarmé a essayé de fixer dans son « Livre » – vers ma langue, où il me faut toujours avancer à partir de chaque poème, vers d’autres qui poursuivent ce travail d’écriture de ce qui ne pourra jamais être exprimé dans la page. C’est pour ça que la voix du poète, dans ses lectures, ajoute toujours quelque chose au poème – et nous dit quelque chose qu’on ne trouvera jamais dans une lecture solitaire.
[...]
Et là j’arrive à ce qui me semble être la singularité de l’expression poétique : au-delà d’une musique des mots, elle construit aussi – à un niveau inconscient, probablement, mais pleinement maîtrisé dans la tradition poétique – une musique du sens. C’est cette musique qui subsiste, dans la traduction, et qui permet de garder (même dans la traduction la plus littérale – et je dirais paradoxalement surtout dans la traduction littérale) l’ »esprit » de l’original qui permet au lecteur de remonter jusqu’à cet archétype.
Et je reviens à cette image du couloir de mon enfance, que je traverse, comme le poème, pour arriver à ce miroir qui me restitue l’image du monde, d’un côté, et à ces livres qui m’attendent, de l’autre côté. Le poème est un espace de traversée. On n’y reste pas, on ne s’y repose jamais. C’est pour ça qu’il est lié à la condition humaine et à sa destinée d’errance et d’inquiétude, au-delà des miroirs et des livres.
Nuno Júdice, in « Le poème dans le monde », revue Latitudes, mai 2003
13 commentaires »
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Beijo as mãos de cada tradutor por me possibilitar a experiência sempre renovada através desse espaço de travessia a que nos remete o poema. Venha de onde vier! « O mundo é grande e cabe/nesta janela sobre o mar » (Carlos Drummond de Andrade). Chapeau, Lusina! Abraços
« Le monde est grand et il tient tout entier/ dans cette fenêtre sur la mer » Merci, Zoia, pour ce vers de Carlos Drummond de Andrade.
En même temps, c’est très gratifiant pour le traducteur qu’un grand poète tel que Nuno Judice (je manque d’accents ici) dise que c’est la traduction littérale qui fait le mieux « passer » la poésie.
Abraço,
Lusina
Très interessant ce texte. Auriez-vous tout l’article ?
J’en aurais volontiers pris connaissance de son intégralité
Oui, je m’en occupe dès que je rentre…
Merci Lusina …
Il faut que je retrouve la revue en question… une affaire de quelques jours !
retranscrire nos pensée, ou nos idées sur le papier, c’est peut-être également une traduction de nous mêm, mais est elle réellement conforme ? à nous même, où à la façon dont les autres nous perçoivent ?
Très joli texte lusina
j’ai un petit livre très sympa entre les mains, O segredo da maë de Judice, inspiré de l’oeuvre de Graça Morais dont les peintures illustrent le livre. j’aime beaucoup ce mélange de l’art et du conte
bisou
Je ne sais pas, Fati, si c’est une traduction de nous-mêmes, ou si nous essayons plutôt à transcrire l’humain, ou l’universel. Un poète a-t-il un ego (en tant que poète, pas en tant qu’homme, bien sûr)? C’est la question.
Je tâcherai de me procurer ce livre.
Bisous
pour tu dir simplement je taime en la ja mes fait je taim celine mon amour
je taime de tout mon coeuir
Euh… il doit y avoir erreur sur la personne, mais c’est si gentiment dit…
j’aime cette explication de la poesie. la poesie » une porte ouverte sur l’infini dans le coeur du temps »
C’est vrai, Natsu ! C’est aussi exprimer avec des mots autre chose que ce que les mots veulent dire…